Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après. À chaque catastrophe, à chaque suicide, à chaque meurtre, à chaque tournant dangereux, il était là, fidèle au poste, comme Lannelongue, décidé, aimable et discret. Il possédait un physique neutre, fait pour les décorations et les honneurs, saluait jusqu’à terre les ministres, leur donnait publiquement du « cher maître » et prévenait leurs moindres désirs. Quand on eut besoin, au moment du Panama, que Cornélius Hertz ne revînt pas en France, Brouardel se rendit en Angleterre à Bornemouth, flanqué de l’autorité de Charcot, et décréta, comme dans Molière, à l’aide d’arguments en us et um, que le commanditaire de Clemenceau était absolument in-transpor-ta-ble : diabète et poudre d’escampette. Ce diagnostic, cette ordonnance firent sensation. Brouardel n’avait que peu de culture, il n’avait pas le coup d’œil médical, mais il fut, à la tête de l’école, le plus soumis et le plus diligent des préfets. Le papa Landouzy depuis, malgré sa bonne volonté d’être plat, ne lui est pas allé à la cheville. La médiocrité est un art et n’y excelle point qui s’y adonne.

Médecin et ami du même Clemenceau, le professeur Debove avait la marotte de laver l’estomac de ses infortunés clients. Il leur ingurgitait, à cet effet, un long tube de caoutchouc, aboutissant à une sorte de coupe où se concentrait cette dégoûtation. Ainsi multipliait-il les érosions et ulcérations de la muqueuse, au milieu de terribles nausées. Avec cela, ardent républicain et laïcisateur sans merci. Charcot le traitait comme un domestique, le rudoyait, poussait un rictus satanique aussitôt que l’autre ouvrait, dans sa face obséquieuse, sa bouche molle. Ou bien, il haussait les épaules et soufflait en gonflant ses lèvres : «… Poufffle ! » Il fallait que la servilité de Debove fût grande et visible pour irriter ainsi le dominateur qu’était le maître de la Salpêtrière. Il eût pu dire, comme je ne sais quel autre augure ; « J’aime l’encens, mais de bonne qualité. » Debove brûlait des détritus dans sa cassolette.

Grand, barbu, silencieux, solennel, le professeur Bouchard, derrière ses lunettes d’or à l’allemande, poursuivait ses chimères médico-métaphysiques. Il venait de publier un bizarre roman, les Maladies par ralentissement de la nutrition sorti tout entier de sa riche imagination, ainsi d’ailleurs que ses autres travaux. Ce Lyonnais entêté, ayant avalé ses brumes, en