Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/198

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avait fait un corps de doctrines aujourd’hui complètement abandonnées. Il n’y a pas, dans toute son œuvre, une page qui corresponde à une réalité quelconque, à la plus petite observation juste. Il est profondément comique de songer que tant de désastres thérapeutiques, de défaites classées, de bévues célèbres ne l’ont nullement empêché de conquérir la plus haute situation scientifique qui se soit vue depuis Charcot. Assis sur son néant, il trône, et il a — comble d’ironie ! — des élèves qui ont appris et médité, qui propagent, qui imposent les extravagantes fables de leur patron. Ces choses-là ne se voient qu’à la Faculté de Paris. Chacun sait qu’il n’y a pas, qu’il n’y a jamais eu de maladies par ralentissement, ni par accélération de la nutrition, mais chacun admet leur existence provisoire, au moins jusqu’à la disparition de Bouchard. Après, on verra. Le plus beau, c’est que des régimes compliqués et cruels ont été institués pour parer à cette pathologie lunatique. Des messieurs et des dames du meilleur monde ont été sacrifiés, comme de simples cobayes, à l’impossible vérification des rêveries de l’illustre songe-creux. C’est ça qui donne une fière idée de la candeur humaine !

L’anticlérical type, le Homais pour comices agricoles, était le petit Bourneville, surnommé familièrement « Boubour », directeur du Progrès Médical. Haut comme une botte, rouge comme une tomate, vindicatif et passionné, il poursuivait d’une haine frénétique les sœurs des hôpitaux. Il avait fondé, sur cette haine, le groupe des infirmières laïques de la Salpêtrière, où se trouvaient d’ailleurs quelques bons sujets. Comment était venue à Boubour cette rage sans merci qui injectait de sang, à la seule vue d’une cornette ou d’une soutane, ses yeux couenneux de cochon malade et donnait des inflexions rauques à son accent bourguignon ? Je l’ignore. Il m’était odieux par son épaisse sottise, son ton péremptoire, son injustice noire et butée et le rôle prépondérant et nocif qu’il jouait dans la presse professionnelle. Je crois bien que, de mon côté, je le dégoûtais profondément par un manque d’hostilité vis-à-vis des choses de la religion qui a fait place, le temps et la raison aidant, à un catholicisme combatif. Le matérialisme médical, politique et littéraire à la fin du XIXe siècle en France était si parfaitement immonde qu’il m’a convaincu, par le contraste, de l’excellence de ceux qu’il persécutait et de la majesté de leur idéal. Les