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POZZI, ALBERT ROBIN

Sud, pour lesquels Pozzi est un savant d’une importance incalculable, ni haut et puissant seigneur Gordon Bennett, tellement féru d’Albert Robin et de ses divers mérites qu’il a fait de lui, pendant de longues années, le critique littéraire du New York Herald.

Albert Robin, par ailleurs très bon commerçant, parle vite en avalant les syllabes et d’un ton péremptoire. On l’avait baptisé « Abéobin la belle barbe ». Il est le seul médecin, à ma connaissance, qui ait eu le toupet de conseiller à ses malades fumeurs de délayer dans l’eau la cendre de leur cigare et de l’avaler ! Il préconisait aussi, contre les douleurs gastriques du tabès, un potage diabolique composé de choux crus, de carottes crues, de raves et de navets presque crus. Il est, depuis le fameux Grouby, cher au paradoxal Dumas fils, le plus grand inventeur de régimes singuliers ou baroques. Il édicte ces insanités brièvement, gravement, en dirigeant, vers son client ou sa cliente, un jet d’œil noir comme l’Erèbe, qui fait rentrer sous terre le doute ou la raillerie. Il s’est trouvé relativement peu de personnes pour lui pouffer au nez, tant est grand le prestige d’un titre d’académicien et d’une réputation même usurpée ! Vous me direz que la littérature a ses Aicard, ses Doumic et ses Prévost, comme la médecine a ses Robin et ses Pozzi : c’est exact. Ne croyez pas que j’ignore la thèse d’après laquelle Albert Robin et ses pareils dissimuleraient, sous des descriptions burlesques, des conseils éminents de bon sens et d’hygiène. C’est ainsi que, voulant contraindre une personne âgée à un certain exercice musculaire et respiratoire, Albert Robin lui imposerait de manger des épinards feuille à feuille, en sautant nue et à cloche-pied autour d’un guéridon de deux mètres de circonférence… C’est à peine si je force la note. Je n’admets pas cette explication. Le praticien, digne de ce nom, n’use pas de subterfuge pour amener ses malades à lui obéir. Il agit avant tout sur leur raison et il se garde, comme de la peste, de cultiver leur crédulité. Albert Robin n’est pas un imbécile, loin de là ; mais s’il trifouille vaille que vaille en chimie, il manque des connaissances cliniques et anatomo-pathologiques élémentaires. Il n’a, du rôle du médecin ici-bas, qu’une notion confuse, gâtée par sa confiance dans le jobardisme de ses contemporains : « Vous avalerez, monsieur, madame, dix bourdes par jour en cinq