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DEVANT LA DOULEUR

droit, tout en secouant son oreille droite de son petit doigt boudiné. C’était chez lui le signe de l’énervement et de l’impatience.

Du moment que ce brave Bruneau s’offrit à mettre en sonorités les bruits divers de l’épopée naturaliste, tout changea. Zola, frappé par la révélation de la gamme ascendante et descendante entrevit tout de suite une musique nouvelle, comme, avec l’aide de l’épouvantable juif de crasse et de mélodrame William Busnach, il avait entrevu un théâtre nouveau.

Chaque fois que la damnation du destin me fait entendre une de ces dégringolades de piles d’assiettes dans un tub de zinc auxquelles excelle le maître Bruneau, orchestrant de Médan et de ses pompes, j’évoque les pivoines épanouies en chromatiques du « grand vardin enchanté » de la Faute de l’abbé Mouret !

L’importance de la jeunesse, de l’amour, des jeunes filles et de la musique lui étant ainsi apparue, Zola amalgamant le tout avec la science, — qu’il ne s’agissait pas de laisser en route, ah ! fichtre non ! — écrivit le Docteur Pascal. Cette œuvre, réjouissante en tant qu’hymne à la vie et apothéose du laboratoire chastement tourmenté, est intéressante en ceci qu’on y trouve ces tendances à l’apostolat qui devaient fleurir en l’honneur de la nation juive, quelques années plus tard. Alors que, dans les Rougon-Macquart antérieurs, tous les personnages du peuple de la bourgeoisie et de la noblesse (!) sont en proie à des tares sans nom, à l’alcool, à la débauche, à l’appétit du meurtre, au satyriasis perpétuel, nous voyons apparaître maintenant, au milieu de la ronde des singes et des boucs, quelques « géants » de bonté, de magnanimité, de douceur qui rachètent l’humanité à tous ses niveaux. Dans ces romans de la deuxième manière, le vertueux que tourmentent « les moiffons dorées de l’avenir » est invariablement un colosse, très souvent blond (pourquoi ?), qui pardonne à jet continu des fautes de toute couleur, quelques-unes même sur lesquelles il n’aurait pas à se prononcer. Ces hercules, mouillés de pitié et de fraternité, sont des transpositions reconnaissables de Zola en personne. L’auteur a soin de leur prêter tantôt le vaste front plissé, tantôt le nez « largement ouvert, sensitif, flairant la grande réconciliation humaine » qu’il pouvait distinguer, tout en écrivant, dans son miroir. D’ailleurs ils tueraient un bœuf d’une chiquenaude, mais, tout occupés de leur microscope ou de leur épure ou de leur système