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L’AGITATION DE MAUPASSANT

économique, ils ne feraient pas de mal à une mouche. Politiquement ces « véants » sont fermement républicains, saupoudrés de radicalisme, de socialisme, d’antimilitarisme, et, à l’aube comme au crépuscule, ils montrent le poing à un monument de l’obscurantisme, qui est tantôt Lourdes, tantôt le Sacré-Cœur, tantôt, faute de construction symbolique, une simple école de village. Tout aussitôt ils se rassurent, en songeant que l’école laïque arrangera tout cela.

Ici encore l’influence de Hugo est visible, avec cette différence que le Sacré-Cœur a remplacé Notre-Dame de Paris et que les figurants ont délaissé le pourpoint moyen-âge pour la bonne blouse, comme dirait Arthur Meyer. Rapprochez Coupeau dans l’Assommoir et un des géants blonds de Paris, de Travail ou de Fécondité, et vous verrez comment Zola, cherchant à atteindre le monde des travailleurs, « de l’âpre prolétariat qui sue et qui peine dans d’obscurs labeurs », a remplacé ses fantoches souillants et puants du début par d’autres fantoches aussi arbitraires, mais lavés, brossés, peignés, désalcoolisés, capables de devenir, du jour au lendemain, des sous-secrétaires d’État dans un cabinet radical.

Le Zola gras jouait les personnages austères, les moralistes, les « chaftes ». Le Zola maigre se laissa aller, et bientôt le dérèglement, d’ailleurs morne et plat, de sa vie d’intérieur fut la fable de nos milieux. Je n’insiste pas, ayant horreur des anecdotes et indiscrétions scandaleuses. Je relèverai seulement que, là comme ailleurs, le souvenir de Victor Hugo et de ses deux ménages ne cessa pas de le hanter. Il y avait, dans le prétendu novateur fécal, un instinct d’imitation fort curieux. Quel « hérédo » lui aussi, et quel malaise mental dans son énorme, dans son vain, dans son sale fatras !

Le cas du pauvre Guy « maupassa » — si l’on peut dire — par une série de transitions, du comique au tragique. Bien que ne le voyant qu’à de rares intervalles, — car il avait peur et horreur des notations toujours imminentes d’Edmond de Goncourt, intime de notre maison, — j’étais renseigné sur son compte, à la fois par les écrivains ses confrères et par les médecins, mes maîtres ou mes camarades, qu’il consultait du matin au soir. Il m’intéressait vivement : je pensais et je pense encore qu’il ferait le sujet d’une monographie exemplaire, où les