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DEVANT LA DOULEUR

Pot-Bouille. C’était un homme sans méchanceté, rond, grisâtre et stupide, d’une fidélité à toute épreuve. Zola le blaguait, le tripotait, le faisait tourner en bourrique comme un animal familier. Alexis écrivait, selon la formule du maître, des bouquins pauvres et tristes, où les cabinets et la basse coucherie tenaient la place réglementaire, et pour lesquels on le complimentait modérément. Quand Jules Huret ouvrit au Figaro une enquête, demeurée célèbre, sur l’évolution des genres littéraires, Paul Alexis lui envoya ce télégramme, où se peint sa candeur : « Naturalisme pas mort, lettre suit. » Il avait de gros yeux de ruminant, la voix sourde, le geste rare. Mais quand Zola voulait prendre quelqu’un à témoin, c’était à lui de préférence qu’il s’adressait : « Hein, Alecfis, hein, mon bon, c’est bien fa ? »

Oscar Méténier, camarade et collaborateur du précédent, était petit, noiraud et pétulant. Chien de commissaire de police, il se servait de sa fonction pour tirer d’ennui à l’occasion les copains aventurés comme Jean Lorrain et aussi pour documenter ses romans-feuilletons et ses pièces réalistes. Fureteur, cancanier, inventif, il nourrissait Edmond de Goncourt d’anecdotes plus ou moins authentiques, qui sont demeurées consignées dans le Journal. Même quand leur auteur n’est pas nommé, je le reconnaîtrais entre mille. Dès qu’il est question des bas-fonds de Paris, des mœurs des apaches et de leurs compagnes, ou de quelques vices « estranges et espovantables », c’est que Méténier a passé par là. Il appartenait au genre dit « tournée des grands-ducs ». Il aurait fait un chef d’informations incomparable pour la rubrique des faits divers ; il en aurait certainement rajouté.

Catulle Mendès, dont Antoine devait jouer la reine Fiamette, parcourait, flanqué de sa changeante mais perpétuelle petite amie, les étroits corridors du Théâtre libre en agitant sa crinière déjà clairsemée. Puant le bourgogne, l’éther et la colle, il approuvait ou désapprouvait bruyamment, prêt à en découdre avec toute personne qui n’était pas de son avis. Toute sa vie il a cherché à se faire, parmi les jeunes gens, une clientèle qui lui a toujours claqué dans la main. Mais ces soirées, prétendues d’avant-garde, sont liées pour moi au souvenir de son odeur, de son rire et de sa piaffe romantico-parnassienne. Je le vois aussi