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DEVANT LA DOULEUR

Pourquoi « de la banlieue » ? D’abord parce qu’il eut lieu une fois ou deux hors de Paris. Ensuite parce que Raffaelli était un de ses fondateurs. Ce peintre, tant discuté jadis lui aussi, était et est le meilleur des hommes. Toujours de bonne humeur, toujours la main tendue, excellent camarade, il est comparable à un de ces paysages clairs, où tous les points de vue sont souriants. Avec lui jamais d’ennui, jamais de bobo, jamais de brouille, même passagère. En outre, il acceptait gentiment qu’on blaguât ses « bonshommes repeignant la barrière de leurs maisons » ou ses perspectives de talus et de cheminées. Signe particulier : on le voyait souvent en redingote grise, comme Bonaparte, mais infiniment plus abordable.

Chéret et Monet étaient du dîner. Le premier, grand, svelte, blanchissant, genre anglais, pas bavard. On admirait beaucoup ses affiches et il était de bon ton d’affirmer, dans le jargon de l’époque, « qu’elles mettaient une gaieté sur les murs sombres de Paris ». Le second, barbu et assez renfermé, d’une grande finesse, et ne s’exaltant que pour parler des fleurs et de la nature, où son lumineux génie baigne spontanément. Geffroy et Mirbeau, Franz Jourdain et moi, répétions très souvent en parlant de Monet et de Rodin : « Il est épatant… ses cathédrales et ses meules sont épatantes… sa porte de l’Enfer est épatante… quel coloriste épatant… quelle épatante vision des formes ! » De là, je crois bien, est venu le sobriquet de « types épatants ». J’aime mieux avouer tout de suite que ce point de vue est demeuré le mien. Monet est un des très rares peintres qui aient su capter les rayons du soleil, les rayures de la pluie, et les jeux des couleurs ardentes parmi le soleil et la pluie. Comme le vieil Hokousaï, il est fou de l’aspect des choses. Il est de ceux qui ajoutent à l’univers par la représentation qu’ils en font. J’ai admiré à travers les grilles, sans entrer, — car vous ne voudriez pas qu’on dérangeât un pareil artiste, — ses fameux jardins de Giverny, qui ressemblent tellement à ses toiles. Quant à Rodin, toutes les plaisanteries faciles qu’on peut faire sur ses mutilations volontaires, sur son emballeur qui casse tout, n’empêchent qu’il est un des très rares mortels parvenus au cœur des formes, au point flamboyant d’où elles jaillissent pour composer la beauté des corps, dans la tension ou dans la pâmoison, et porter partout le désir avec la douleur.