Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/358

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plus rares qualités du cœur et de l’esprit. Aucune morgue, chose extraordinaire chez un enfant qui vivait au milieu d’une cour et d’une adulation perpétuelles, qui avait vu tout Paris défiler sous les fenêtres de sa maison. Une droiture et une loyauté qui ne se sont pas démenties. Une grande pondération dans le jugement. Une bravoure tranquille et modeste. Disposant, dès l’âge de dix-huit ans, d’une influence et d’une fortune considérables, il rendait à tort et à travers, avec une sorte d’enthousiasme, tous les services possibles à tous ceux qui passaient dans son voisinage. Ils l’en ont joliment récompensé ! Notre intimité vint de ceci que, ne pouvant le suivre dans son existence fastueuse, car je ne disposais que du modeste budget d’un étudiant en médecine, je refusais systématiquement de connaître ceux ou celles qui cherchaient à l’exploiter. Ainsi, un jour sur trois, je l’attirais sur la rive gauche et dans des restaurants à bon marché, comme la pension Laveur, où il trouvait d’ailleurs le moyen de corser l’addition de tante Rose. Les autres jours, il allait se faire saler par les maîtres d’hôtel du Café anglais ou de la Maison d’or. Nous lui disions, mon père et moi : « Pourquoi t’amuses-tu à jouer les poires, puisque tu n’es pas une poire ? » Il répondait en riant ; « Que voulez-vous, monsieur Daudet, quand j’aurai tout dépensé, je travaillerai.

— On croit ça, ripostait Alphonse Daudet, en secouant sa petite pipe ; mais tu ferais mieux, avec ton talent, de t’y mettre tout de suite. »

En effet, Georges a eu, héréditairement, le don du style personnel, en littérature comme en peinture. Mais il se disait qu’il ne soulèverait jamais le lourd pavé de gloire posé par son grand-père sur son berceau. Les mêmes légions d’abrutis, qui lui reprochaient de ne rien faire et de dépenser son argent avec des demoiselles, — chose qui, en somme, ne regardait que lui, — s’esclaffèrent quand il publia ses originaux Souvenirs d’un malelot. Avoir le toupet d’écrire quand on est le petit-fils de Hugo, quelle outrecuidance ! Que de fois ai-je dû remiser le crétin mondain, ou de bibliothèque, ou de faculté, qui ressassait devant moi le facile poncif d’un Georges Hugo, dissipateur et bon à rien ! À propos de la mort d’Adèle Hugo, je trouvais encore, il n’y a pas six mois, dans le supplément