Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/357

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les campagnes, peinant sur des miniatures de bêtes et de gens. » Ce bon écrivain, cet esprit faible est demeuré à mes yeux le prototype des êtres tordus psychologiquement, sans que l’on puisse bien démêler le sens du pli de leur torsion. Le goût de la syntaxe, la sobriété dans le trait ne sont pas tout. Je conclurai en me demandant, d’après ses histoires naturelles : « Était-il une abeille ou une guêpe ? » J’ai bien peur qu’il ne fût une guêpe.

Comme il produisait relativement peu, à la fois par manque de fécondité et par scrupule littéraire, ses confrères et la critique lui témoignaient une indulgence relative. On lui savait gré de ne pas tenir trop de place. Mais, lui, démêlant leur mobile, ne leur rendait pas la pareille, ah, bigre non ! À une époque, il faisait des armes avec assiduité, dans l’intention, disait-il avec un sourire pincé, « d’en supprimer un ». Il ne spécifiait pas lequel. Chacun pouvait ainsi se croire privilégié. Au sortir de l’assaut, il avalait avec satisfaction un grand verre de vin blanc, à la paysanne, et soupirait : « Quel art difficile, — un temps, — mais indispensable ! » Il expédiait souvent sa pensée toute crue, afin qu’on la prît pour un paradoxe.

Il est mort jeune, après une maladie cruelle, où il montra un magnifique courage. En général, les bons écrivains, comme les bons soldats, savent mourir. Au lieu que les politiciens et les médecins ont peur de la mort. Chacun, en regardant autour de soi, pourra corroborer cette remarque, qui comporte, bien entendu, des exceptions.

J’arrive à un cas littéraire, social et politique qui met à nu l’invidia démocratique : celui de Georges Hugo. Nous avons été, pendant de longues années, amis intimes, et je parlerai de lui avec une liberté d’autant plus grande que des circonstances, extérieures à lui et à moi, nous ont séparés. Mais quand le hasard nous fait nous rencontrer, ici ou là, j’ai toujours un petit pincement dans la région cardiaque. Nous sommes l’un à l’autre notre jeunesse.

Georges Hugo est un prince du sang, un artiste né. Fils d’un père et d’une mère dont le charme et la beauté furent célèbres, petit-fils d’un vieillard illustre comme Homère, il joignait, dès son adolescence, aux avantages physiques, les