Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/371

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Gustave Dreyfus, naturellement. Il est presque aussi hideux que son frère Joseph, de même poil, de même fatuité ; sa voix est formée du même glapissement guttural. L’ancêtre francfortois est très sensible chez lui. Il a du juif boche la cuistrerie agressive, la citation à fleur de peau et le mépris pour toute contradiction. Sa trogne, son larynx, sont d’un boche. Il se redingote comme un professeur boche. Des pieds aux lunettes, il pue le sémito-germain.

Joseph, lui, bien que de même origine, arbore volontiers le style parisien. Je l’ai entendu prononcer cette phrase monumentale dans sa bouche adipeuse et violette : « Nous autres, Parisiens endurcis… » C’était à table, en 1894, avenue de l’Alma, dans le petit hôtel de la marquise d’Anglesey. Charles Dilke, politicien anglais à tête de financier louche, dînait aussi ce soir-là et Reinach désirait l’épater. Je venais de publier les Morticoles, qui faisaient un certain bruit. Après le morne repas, qu’attristaient encore les aboiements de l’israélite sans vergogne, celui-ci me prit à part et me dit : « Jeune homme, vous êtes un satiriste. C’est fort bien. Mais il est encore mieux d’être un réformateur social. Je suis un réformateur social. Je compte faire introduire dans la loi le délit de castration, qui permettra de sévir contre les chirurgiens malhonnêtes. Vous voyez que nous sommes du même avis. »

C’était possible, mais, pendant qu’il me soufflait dans le nez son haleine de putois au curaçao, je n’avais qu’une envie : le faire tomber par terre en le tirant par la barbe ; et je me représentais la stupeur et l’émoi de Charles Dilke à voir ainsi traiter le « Parisien » tronqué. La tentation devint tellement forte que je pris congé. Ce fut notre dernier entretien.

Comment ce phénomène est-il arrivé à s’imposer au monde des journaux, au monde politique, à faire la pluie et le beau temps chez Hébrard comme au Parlement — où il peut se rencontrer tout de même des hommes intelligents et de bonne éducation — c’est ce qui me dépasse. Je franchis toutes les explications courantes par l’influence juive, le traité de Francfort et l’avilissement des mœurs. L’action de Reinach, depuis un quart de siècle, ainsi que celle, parallèle, d’Arthur Meyer, demeure à mes yeux un problème. L’un et l’autre sont bêtes à