Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/423

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Quand Magnard disparut, la situation de Calmette devint mal commode. Il était pris entre deux ennemis déclarés, qui juraient d’avoir la peau l’un de l’autre : Fernand de Rodays, ex-administrateur passé à la direction littéraire, et Antonin Périvier.

Fernand de Rodays était à l’époque un petit monsieur vif, pétulant, fort aimable, — je n’ai eu personnellement qu’à me louer de lui, — et d’une extraordinaire légèreté… une cervelle d’oiseau. Avec cela autoritaire et tracassier, ronflon, comme on dit dans le Midi, colaslinger, comme on dit dans le Centre, verdillon, comme on dit à Paris. Ayant dirigé la Vie parisienne, il se croyait très Parisien et prétendait, en cinq minutes, trancher toute espèce de difficulté.

Antonin Périvier avait exactement les mêmes prétentions, la même confiance en soi et les mêmes pouvoirs que Fernand de Rodays. Sa seule différence était d’être d’un blond tirant sur le roux, alors que Rodays était brun, et d’être parsemé de quelques taches de rousseur. Il disait, en parlant de Rodays : « Ce crétin !… » Rodays disait, en parlant de Périvier : « Cet abruti !… »

À six heures du soir, Rodays donnait l’ordre à Calmette de mettre en tête du journal un article de Barrès, pour lequel il avait de l’amitié.

À sept heures, Périvier, qui en voulait à Barrès de je ne sais quoi, ordonnait à Calmette de retirer l’article de Barrès.

À dix heures, Rodays, méfiant, revenait au Figaro, demandait la feuille, saboulait Calmette pour lui avoir désobéi et faisait passer l’article de Barrès.

Il en était de même pour tout. Naguère si un, si rassemblé et si fort, le Figaro était devenu une invraisemblable pétaudière, où Calmette essayait, mais en vain, de mettre un peu d’ordre. Il ne se plaignait pas ; une seule fois, je l’entendis murmurer, en parlant de ses deux directeurs ennemis : « Sont-ils embêtants ! »

Le bureau de Rodays était à l’entrée d’un couloir, au bout duquel se trouvait le bureau de Périvier. Toute personne sortant de chez Rodays était aussitôt happée par Périvier, qui commençait un débinage en règle de son associé. Inversement, les visiteurs de Périvier, guettés par Rodays, entraînés par