Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/424

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lui dans son antre, y subissaient la longue complainte des méfaits et manquements du bel Antonin. Ayant fait un article de tête au Figaro sur je ne sais quoi, je reçus le lendemain matin, par le même courrier, deux lettres de félicitation, l’une de Périvier, l’autre de Rodays, renfermant chacune une pointe pour le camarade.

Une pâte d’homme, du nom de Louis Depret, qui publiait des « Pensées » à l’Illustration, sous le pseudonyme de Valtour, et qui venait quotidiennement depuis vingt-cinq ans, depuis Villemessant, faire la causette au Figaro, entreprit de réconcilier les codirecteurs. Le souvenir de cet épisode enchantait Calmette. Depret entra chez Rodays : « Cher ami, il faut absolument que vous serriez la main de Périvier. Il y va de la fortune de la maison, que vos déchirements sont en train de ruiner. Il n’y a d’ailleurs entre vous que des malentendus. Attendez-moi ici un moment. Je vous ferai signe. Vous vous croiserez dans le corridor ; ce sera simple comme bonjour. »

Même démarche chez Périvier. Une, deux, trois : Rodays et Périvier sortent ensemble de leurs boîtes, s’avancent l’un vers l’autre, — Depret, ravi, les larmes aux yeux, entre eux deux, — se jettent un regard foudroyant et se tournent le dos. Ce soir-là, ils parlèrent de s’envoyer des témoins, avec des conditions à faire frémir : dix balles au commandement et à dix pas.

Il fut décidé que le Figaro paraîtrait désormais sur six pages. Les machines étant achetées, les compositeurs à leurs postes, Calmette eut l’idée d’une petite fête commémorative de cet heureux événement. Rodays, par je ne sais quelle fantaisie sadique, voulut que l’on distribuât des boîtes de dragées. En apprenant cela, Périvier bondit : « C’est grotesque ! Cet animal va nous couvrir de ridicule. Pas un sou, vous m’entendez, Calmette, pas un sou pour ces dragées ». Calmette, levant les bras au ciel, soupirait : « Comment vais-je sortir de là ? » Un rhume béni enchifrena Périvier, le retint chez lui, et Rodays, qui consultait fiévreusement les statuts, eut licence de commander ses dragées. Périvier est d’ailleurs un homme changeant. Je l’ai entendu, de mes oreilles, solliciter l’appui de la Patrie française pour les élections de 1902, où il devait se présenter comme député nationaliste, et, quelques mois plus tard, il soutenait, dans le Gil Blas, la politique de Combes et