Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/428

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blable, ni du possible, ni des dénégations qui pleuvaient sur lui de tous les côtés. Il avait conservé son geste professionnel de la main en avant, comme s’il eût cherché celle du président, qui lui mettait le nez dans ses blagues.

— Avouez, Rosenthal, vous ferez mieux. Avouez que vous faisiez chanter le jeune Lebaudy pour lui extorquer de l’argent.

— Ayez pitié de moi, monsieur le président. Je n’ai plus la force… Je ne me souviens plus… Je suis malade.

— Vous n’avez pas eu pitié du jeune Lebaudy et lui aussi était malade. Allons, il en est temps encore, avouez.

Tout alentour, les auditeurs haletaient. La plupart avaient connu Saint-Cère au temps de sa splendeur et de son arrogance, c’est-à-dire un mois auparavant. Quelques-uns avaient encore, dans un repli de l’estomac, quelques reliefs de ces coulis d’écrevisses qu’il exécutait dans la perfection, les manches retroussées, passant de l’espionnage à la cuisine, ou bien un filet d’une de ses trente liqueurs de choix. Le bandit pincé secouait la tête et roulait ces regards, étonnés à faux, des truqueurs saisis pendant leur truc.

Un intermède comique fut la déposition de Fernand Xau, au nom du Journal vaguement compromis. L’appareil de la justice en imposait à ce brave Xau au point de lui retirer la salive, en même temps que la présence d’esprit. Il confondait tout, embrouillait les noms et les dates, se faisait rafraîchir la mémoire par le président, cela au milieu d’une pluie de : « J’vous remercie bien. J’vous d’mande pardon ». Le tutoiement ignoble, dont le poursuivait un des accusés, ajoutait sa menace à cette scène bouffe.

— Enfin, mon vieux Xau, tu te rappelles bien que c’est toi qui avais commandé cet article.

Xau évitait de répondre directement, afin de n’employer ni le vous ni le tu : — C’est-à-dire que l’honorable contra… que mon honorable témoin, j’vous remercie bien, a cru, s’est imaginé, s’est figuré de très bonne foi, j’vous d’mande pardon, que je lui avais commandé… D’ailleurs, monsieur le président, je ne commande pas… j’vous remercie bien… Ce n’est pas dans ma manière, j’vous demande pardon.

— Enfin, oui ou non, Xau, avez-vous payé cet article, ou avez-vous reçu de l’argent pour la publication de cet article ?