Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/450

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nieuses, courtes, qui se referment presque immédiatement. Car il est prolixe, mais de souffle étroit, et vagabond d’idées comme un vieux pauvre. Ainsi que Brunetière, il est incapable de porter jugement sur un contemporain. Il lui faut, pour qu’il ait quelque bon sens, le recul et la consolidation du temps. Ainsi que Brunetière, il use d’un jargon scolard et sans souplesse, où voisinent Vaugelas et le P. Le Batteux. Il assemble de poussiéreux bouquets d’herbier et il les tend d’un air triomphant à la dame de ses pensées, à Synecdoche, à Catachrèse, à Hypallage. C’est le Don Juan des figures de rhétorique.

Suffisamment humble vis-à-vis des pouvoirs constitués, il se donne des mines d’indépendance et collabore aux feuilles conservatrices. Périodiquement il salue avec enthousiasme, à propos de bottes, un ministre en fonctions, ou propose un fragment quelconque de discours officiel à l’admiration des contemporains. L’esprit n’est pas prompt, mais la chair est faible. Psychologiquement, il ressemble à un homme qui aurait rêvé, assis sur son tuyau de cheminée, argent, honneurs, pouvoir, gloire, beauté, amour, et qui serait tombé à plat, de vingt mètres de haut, dans un baquet d’encre. Avec lui Jean de La Fontaine eût fait la plus belle de ses fables. Je me suis demandé, au sujet de Faguet, bien souvent, si la graphomanie chez lui n’était pas un moyen de s’étourdir, de ne pas penser à Faguet. Je me suis demandé aussi quelle était la part de sincérité dans son fantoche.

La psychologie intime de Faguet était un de nos grands sujets de plaisanteries, quand notre cher et subtil Jules Lemaître — le vrai, le grand, le seul critique de l’Entre-deux-guerres, celui-là, — dissertait avec moi de Faguet. Jules Lemaître estimait Faguet. Il avait un faible pour Faguet. Il devait néanmoins reconnaître l’atmosphère bizarre, l’ambiance, l’aura, le malaise émanant de Faguet. Alors il écartait les deux mains, puis les rejoignait en les tordant un peu, et répétait, avec un petit rire, d’un air gourmand et mystérieux : « Ah ! oui, Faguet ! »

René Doumic, cette utilité qui se crut une nécessité, pioche physiquement le genre moyenâgeux. Quelqu’un de bien intentionné a dû lui dire qu’il avait une tête de vitrail. Mais il y a vitrail et vitrail. Celui de Doumic comporte des cheveux