Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/457

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Mme Adam travaille ainsi : elle prend une feuille de papier et elle fait son plan. Ce plan établi, elle s’y tient. Admirablement renseignée sur la politique allemande, ayant en tête l’outil flambant neuf de la Nouvelle Revue, qui devait engloutir une grande partie de sa fortune, elle se proposa, dès 1878, ce quadruple but :

1° Soutenir, envers et contre tous, la confiance de l’Alsace-Lorraine et la foi des patriotes Alsaciens-Lorrains.

2° Abattre Bismarck.

3° Faire l’alliance russe.

4° Préparer, diplomatiquement et militairement, la Revanche.

Elle a réussi on peut le dire, dans sa quadruple tâche. Elle a attendu son heure quarante ans. Mais elle l’a eue.

Sa maison devint ainsi le centre de la résistance aux menées allemandes de toutes sortes qui allaient fondre sur la France. Mme Adam est une solide et vaste intelligence, inutile de le dire ; mais elle est aussi une intuitive extraordinaire, qui reçoit, par des voies hyperconscientes, de mystérieux avertissements. En voici un exemple : elle a toujours su, de science plus certaine que celle des généraux ses amis, que l’invasion allemande de la prochaine guerre se ferait par le nord, par la Belgique, et elle n’a cessé d’envisager et de faire envisager autour d’elle cette éventualité. La collection de la Nouvelle Revue et les articles du capitaine Gilbert en font foi.

Cette pénétration lui permet de juger en un clin d’œil le fort et le faible d’un individu et de ne placer sa grande confiance qu’à bon escient. Par contre, elle dissémine sa petite confiance avec un imperturbable optimisme et il lui est parfaitement égal d’être dupée sur le secondaire, sur ce qui n’est pas l’intérêt français. Amie incomparable, fraternelle ou maternelle, selon les différences d’âge, elle n’abandonne jamais, jamais ceux qu’elle a une fois adoptés. Elle étend sur eux sa main protectrice.

Elle a eu cette fortune singulière, étant prédestinée à de grandes et fortes choses, à une dure action, d’être adorablement belle. Elle a surmonté cette beauté, ce charme, qu’elle ne mettait d’ailleurs nullement sous le boisseau, par le prestige de l’esprit et de la volonté. Bien que dominatrice et inspiratrice, elle est demeurée femme et ménagère, aussi habile aux confitures et aux menus qu’aux préparations diplomatiques et militaires,