Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/458

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menant sa maison avec une « économie », au sens latin, incomparable et un faste royal. Elle est née grande dame. Elle sait écarter gentiment les gêneurs, aplatir les mufles d’une réponse souriante mais irrésistible, récompenser d’un mot les belles actions, faire jaillir les larmes de reconnaissance. Elle sait accueillir et chasser. Rien de droit, de clair, de hardi ne la fâche jamais. Le mensonge et l’hypocrisie la rebutent. Elle panse la douleur, la timidité et la pauvreté. Sa générosité est sans limites. Je n’ai connu qu’Alphonse Daudet et une autre personne tout près de moi pour s’intéresser aux pauvres diables avec une aussi réelle et efficace bonté. Mais, chose étrange, on n’abuse pas de cette jolie main toujours ouverte. La grandeur qui émane d’elle est transmissible et bien des êtres méchants et vils, comblés par elle, ne lui en ont pas voulu du tout, ne l’ont pas déchirée par la suite.

Comment l’Allemagne, qui pense à presque tout, ayant une ennemie de cette taille et de cette efficacité, ne l’a-t-elle pas fait disparaître au cours de l’Entre-deux-guerres ? Voilà ce que je ne puis comprendre. En dépit d’un budget d’espionnage annuel de quatre-vingts millions de marks, nos ennemis sont psychologiquement assez mal renseignés. Pendant des années et des années, il n’y a plus de raison de le taire. Mme Adam a tenu le gouvernement russe au courant des pièges que Bismarck ne cessait de tramer contre lui. À deux reprises, elle a fait le voyage de Russie, pour faire savoir directement aux principaux intéressés ce qu’elle ne pouvait leur écrire ni confier à des intermédiaires. Elle a poursuivi le comte Witte, qui cherchait le rapprochement russo-allemand, d’une haine solide et documentée. La mort tragique de son ami le général Skobeleff avait été pour elle un coup terrible. Mais tout de suite elle avisait au moyen de remplacer cette grande influence francophile et antiallemande disparue.

Car la principale force de Mme Adam a été de ne jamais désespérer : « Il y a toujours dans un coin une petite chance que l’on n’a pas entrevue…, et puis, quand tout paraît perdu, il reste la prière ». Même au temps de Païenne et avant l’ascension mystique de Chrétienne, Mme Adam avait un culte pour Jeanne d’Arc « qui, dans la pire situation de la France, n’avait jamais désespéré ». Fille de la solide Picardie, issue d’un sang intact et