Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/483

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m’apportent le flot et les chants des îles bienheureuses. C’est le plus grand de tous, le plus aéré et quel équilibre ! » Ainsi vantait-il le génie méditerranéen, les doigts à plat sur Mireille et Calendal, qu’il lisait dans le texte, ayant appris, à cet effet, le provençal. Alphonse Daudet le renseigna sur quelques tours de phrase, qu’il n’avait pas parfaitement saisis : « Je vis ici au milieu de Scythes, vous comprenez, Daudet ; il faut me pardonner » Il accueillit mon père comme une vieille connaissance : « Laissez-moi vous dire que je vous aime. Il y a dix ans que je garde pour vous, mon grand ami, des bouteilles d’un vin de Côtes-Rôties ». Son domestique, qu’il qualifiait d’ « incomparable », les monta. Elles étaient remarquables, mais le commentaire que Meredith en fit les dépassait encore, comme saveur et couleur. C’est ainsi que nous nous liâmes en parlant du vin.

J’ai de lui une lettre émouvante, destinée à me consoler pendant une convalescence longue et pénible de fièvre typhoïde, lettre où il me vante la convalescence et me la recommande comme un état de lucidité ; puis un télégramme de deux cents mots au moment de mon second mariage, car il connaissait celle que j’allais épouser et notre double affection pour lui. Ce sont pour moi de précieuses reliques. Rien qu’en pensant à lui, j’ai le frisson de la grandeur ; j’entends ces trompettes romaines, ces buccins dont parle Quincey et qui annoncent les personnages souverains. Que ne puis-je me transporter à Boxhill, et vingt ans en arrière, quand respirait encore ce maître des maîtres !

Meredith était taquin, et d’une forme de taquinerie bien à lui. L’amiral Maxse racontait, pour consoler mon père et Meredith, affligés de la même maladie, que, lui aussi, à la suite d’une entorse, avait marché difficilement pendant de longs mois : « Oh ! je me rappelle, fit Meredith. Cette entorse, imaginez-vous, était devenue grosse comme une tête d’enfant, puis comme une tête d’hydrocéphale. Elle était un objet de curiosité. On venait des environs pour la voir et la palper ». Là-dessus, il éclatait d’un rire joyeux et effrayant, et le bon Maxse n’osait pas contredire cet inventeur de circonstances excessives. Ayant été très fier de sa force et de son agilité physiques, — quand il avait du chagrin, il se distrayait en jetant en l’air des