Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Byvanck s’impose, si l’on veut interpréter l’histoire et la vie de la Hollande à travers la peinture hollandaise.

Byvanck, mon très cher ami et un grand ami de la France, est conservateur de la Bibliothèque de la Haye, et directeur de la revue Gids. On le trouve là, lisant et méditant dans son beau cabinet du premier étage, dont les fenêtres donnent sur la Lange Voorhout. Il y a vingt ans, il était très brun, avec des yeux noirs et perçants d’asiatique, dans un visage à la fois débonnaire et railleur. La voix est ferme, appuyée et par moments même martelée. Le geste est sobre, mais d’un artiste. Il désigne, dévoile et n’insiste pas.

Byvanck est un esprit vaste, lumineux et précis. Sa critique construit, agglomère, synthétise, tout en demeurant passionnée et vivante à l’extrême. Derrière l’œuvre, il recherche l’homme tel qu’il est, non tel qu’il se montre. Il fait preuve, dans cette poursuite originale, d’une ingéniosité sans seconde. Il est idéoplastique comme un platonicien. Imaginez un méditerranéen repris par la Réforme, luttant contre elle et transposant ce débat intérieur dans sa vision des lettres et des arts, et vous aurez une notion approchée de ce très important cerveau. Il connaît à fond quatre littératures, la hollandaise, la française, l’anglaise et l’allemande, sans compter la possession complète de l’antiquité romaine et grecque. Cet appareil, ce soutènement d’érudition lui sert, mais demeure invisible. Comme un corsaire à l’avant du bateau, il jouit du spectacle changeant du monde, en attendant que le soleil se couche. Il y a beaucoup à apprendre dans sa fréquentation.

Sa force satirique est grande. Il la refoule, parce qu’il préfère le dessin à la caricature, mais, quand il s’y laisse aller, c’est un délice. Souvent je lui ai demandé non seulement de me montrer, mais d’interpréter pour moi, les manuscrits en miniatures, dont il est le gardien jaloux. Chaque planche devient alors un prétexte aux remarques tragiques ou plaisantes. Il y a aussi dans Byvanck, comme dans les passionnés qui se dominent, un puissant dramaturge endormi. Il animerait la feuille morte, la pierre froide et l’imbécile content de soi.

Une de ses têtes de turc préférées était le pauvre Van Hamel, excellent homme, de belles manières, mais critique médiocre, fort répandu dans les milieux universitaires hollan-