Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dais et dans les salons parisiens. Byvanck ne blaguait pas directement Van Hamel, il est trop courtois, trop subtil pour cela. Il se contentait de l’amener tout doucement à déployer, comme un gentil paon, les trésors de son innocente fatuité. Le maximum de la roue coloriée de Van Hamel était aussi l’apogée du contentement de Byvanck et la malice de son œil noir devenait infinie. Ce grand enfant gâté de Van Hamel se croyait fort supérieur à son émule, et il se plaisait à le renseigner sur des textes et des auteurs que l’autre connaissait vingt fois mieux que lui. Au moment de la guerre des Boers, il s’improvisa le barnum à Paris du président Krüger, et il me demanda de le présenter en cette qualité aux directeurs du Journal, à MM. Letellier. Je le présentai à mon cher Auguste Marin, qui voulut bien prendre, en cette occasion, le rôle du papa Letellier et de Nez-Henry. Ce fut une audience solennelle et joyeuse. Auguste Marin promit à Van Hamel qu’une page entière du Journal, avec photographie et biographie, lui serait consacrée. Van Hamel invita Marin à venir le voir en Hollande. Marin remercia chaleureusement. D’ailleurs, il n’aimait que Marseille et sa Provence. Les brumes du nord le rebutaient. Au bout de huit jours, Van Hamel ne voyant rien venir, flaira une mystification, fit son enquête et nos relations furent interrompues. Que me pardonnent les mânes du président Krüger et de son secrétaire improvisé !

Sur la terrasse de Scheveningue, retentissante du fracas de la mer, dans les bois merveilleux de la Haye, dans les dunes sablonneuses creusées en cercle, comme les monts de la Lune, j’ai passé de belles heures en compagnie de Byvanck. Par quelle étonnante adaptation cesse-t-il d’être un étranger, est-il des nôtres, nous a-t-il révélé sur Villon des documents ignorés, des sources fraîches, cependant qu’il apportait aux Anglais des vues nouvelles sur Shakespeare et Hamlet, aux Allemands une psychologie originale de Gœthe et de son milieu ! Sa mémoire est fidèle et prompte. Il cite un beau vers, une noble pensée, le regard perdu vers l’horizon, puis d’un ton inimitable ajoute : « Oui, oui, cela est bon. Cela se tient. Mais votre Charles d’Orléans aussi… » Il connaît par cœur nos poètes les plus rares, et il devine ou conjecture les circonstances morales qui leur ont donné, à tel tournant de leur vie, tels accents. Quel étonnant