Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/507

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d’Afrique, en plein soleil. Il jette de tous les côtés des regards qui demandent du secours. Alors j’accours, je le prends par le bras d’une main ferme et je lui dis : « Viens, cousin, j’ai un renseignement capital à te demander ». Mais l’ingrat déjà ne m’écoute plus. À peine délivré, il est reparti pour ses étoiles.

C’est un personnage de Shakespeare, un monsieur dans le genre de Mercutio. Si toutes les circonstances sont réunies pour sa redescente ici-bas, il vous contera, à peine hors de son aéroplane, une histoire ravissante et diaprée, qui vous fera rire en vous émouvant. Conter est beaucoup dire, Donnay improvise en abrégeant. Il a tellement peur d’ennuyer, lui, le grand charmeur ! Ou bien si son cousin est là pour l’y inciter, si l’atmosphère est chaude et affectueuse, il consent à chanter, — et de quelle voix merveilleuse et prenante ! — de vieilles chansons françaises, dont il tient un inépuisable répertoire. Mme de Loynes aimait nos tréteaux improvisés : « Allons, Donnay, mon ami, un peu de musique…

— Mais, madame, sans piano…

— Léon vous accompagnera, hein ? oui… Voyons, Léon », — ajoutait Lemaître.

Mon accompagnement consistait à faire poum, poum, en suivant d’aussi près que possible le rythme, naturellement parfait, de Maurice. Puis, en cas de trou dans la mémoire, je soufflais et Mme de Loynes et Lemaître applaudissaient :

« Quels cabots, ces deux diables-là », disaient-ils, « ils gagneraient ce qu’ils voudraient en chantant dans les salons. »

C’est une erreur. Les salonnards n’ont pas d’oreilles. Ils font venir, pour une somme de…, des cantatrices cotées, lauréates du Conservatoire, mais piètres musiciennes, qui les arrosent de Massenet ou de Bemberg, en piaulant et modulant à contretemps. L’art du chant est lié à une représentation intérieure du mouvement sonore et du ton juste, qui n’existe que chez quelques personnes douées de lyrisme. N’aurait-on pas de voix qu’on chanterait, si l’on a cette faculté imaginative. Armand Gouzien chantait comme un demi-dieu. Reynaldo Hahn, Camille Bellaigue, Santiago Rusiñol, Henry Vivier, — hélas ! — Maurice Donnay, voilà, selon moi, des chanteurs. Ils chantent bien, parce que la poésie les habite. Pour le même motif, Mme Rose Caron, Mme Raunay, Mlle Bréval, Mlle Monjovet ont