Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/508

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chanté et chantent divinement. Il faut voir et comprendre, voir et sentir ce que l’on chante. Le reste vient par surcroît. Le chant ne doit pas être séparé de la vie. Un soldat dans le rang, un paysan sur la route obscure, un peintre en bâtiment sur son échelle, un tonnelier dans la cave, une paysanne auprès de son berceau, un marin sur sa vergue, un moine à son lutrin chantent harmonieusement, parce que naturellement, parce que leur âme passe dans leur chant. Il n’y a que trois maîtres de chant : l’aspiration, ou le désir, ou la nostalgie. Ils font payer généralement leurs cachets assez cher.

Donnay a une mémoire musicale étonnante. La mienne n’est pas mauvaise. Je vais vous dire ce que nous chantions le plus souvent.

D’abord :

La pauvre femme
C’est la femme du roulier.

puis, les amants de Grenoble :

Quand Pierre partit pour l’armée
Sept ans est resté (bis)

puis, la p’tite bobotte :

Voilà qu’elle se mari…i.....e

et encore :

Qui frappe, qui frappe ?
Mon mari est ici,
Il n’est pas à la chasse,
Comme il l’avait dit.

puis une foule d’airs révolutionnaires, ou royalistes, depuis la Marseillaise et le Chant du Départ, jusqu’à l’habile fabrication de Féval, Monsieur d’Charette a dit à ceux d’Conflans et au Chant des camelots du Roi, sans compter Carmen, l’Arlésienne, des airs espagnols, italiens, provençaux et maints poèmes des Îles d’or de Mistral, ou encore cette Respelido d’un si beau mouvement :

Nous en plein jour
Voulons parler toujours
La langue du miéjour,
Voilà le félibrige…