Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/530

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Madame, je n’en pense rien. Je sais seulement qu’il peint trop de meules pour mon goût, bien que vous me qualifiiez de rustique… Quant à Léon, il nous sert l’esthétique de l’œuvre de Zôla, voilà tout, et c’est un scandale. »

Lemaître mettait plusieurs accents circonflexes sur l’o de Zola.

Michel Pelletier achetait de la peinture. Je n’ai pas vu sa collection, mais, d’après ses goûts, je n’en donnerais pas une grosse somme. Quant à Roujon, il prenait la défense des impressionnistes et de Rodin, avec des façons de bel esprit rance, qui me rendaient douloureux et même insupportable l’appui qu’il m’apportait. C’est un tourment de conscience que la rencontre d’opinion ou de préférence avec un sot. Alors on est bloqué, puisque l’on ne peut plus se contredire, et il n’y a plus qu’à se taire en rageant. C’est ce que je faisais, passant sur l’orangeade et la bière ma rancœur antiroujonesque.

J’ai mes tiroirs, où je range les gens d’après leur catégorie morale. Je fourre hardiment dans le même casier Hanotaux, Larroumet et Roujon. Ce n’est pas leur côté fonctionnaire qui m’agace. Georges Hecq, bien que fonctionnaire, était délicieux ; Payelle, actuellement directeur de la Cour des Comptes, m’a laissé un bon et joyeux souvenir. C’est la servilité quant aux personnes en place, jointe à une feinte émancipation, qui paraît intolérable. Le rire à l’académicien, la flatterie au ministre, la lèche au financier ou au directeur de journal ne vont pas avec la cabriole artistique, la gambade littéraire, ni les airs de mousquetaire aux champs. Il faut choisir entre la platitude et les Grâces, entre le plumeau et les Muses. Les butineries, sur le Parnasse, de larbins en goguette me font mal au cœur.

Dès que Mme de Loynes me voyait aux prises avec Roujon, elle commençait à s’inquiéter, car elle connaissait mon sentiment : « Ami Léon, voulez-vous me ramasser mon aiguille à tricot… » Puis très vite, pendant que je me penchais : « C’est un gentil garçon… Faut pas le tuer sur mon tapis. » Cette interdiction me désarmait. Puis rien n’est ridicule comme de jouer les Alceste en société, dans un temps où ne se portent plus les rubans verts.

« Je suis éclectique et libéral, — clamait Roujon, sous le