Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/532

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tion, pratiquée aussi légèrement sur le sanglier du musée napoléonien et rhinocéros de Joséphine, nous remplissait de joie, Lemaître et moi. D’où les vers suivants :

Delafosse ayant dit qu’il sonderait Masson,
Masson l’assomma net et sans plus de façon.

Tout compte fait, Delafosse espérait dix-sept voix. Le jour de l’élection, il en avait cinq ou huit. Elles fondaient comme neige au soleil, sans qu’on pût s’expliquer le fait autrement que par ce sadisme sénile, qui fait la force de l’Académie française. Une fois cependant, par je ne sais quel mic-mac, il faillit passer, à la grande terreur des académiciens, pris à leur propre piège, qui avaient voté moins pour lui que contre un autre.

Delafosse montrait trop sa furieuse envie du fauteuil pour l’obtenir. Il en était de lui comme de Stéphen Liégeard.

Quand vous apercevrez, dans la rue ou au bois de Boulogne, un très vieux monsieur tout noir, trop noir, calamistré quant à la moustache, aux gestes raides de marionnette désuète, constitué à la façon d’une caricature de Cham, plein de bonnes manières, saluant à droite et à gauche, ressemblant comme deux gouttes d’eau à M. de Montpavon du Nabab, vous saurez que vous êtes en présence de Stéphen Liégeard. C’est un homme excellent, qui régale l’Académie française depuis trente ans, distribuant à ses éventuelles voix, considérées comme autant de bouches, je ne sais quel chambertin dont il est le propriétaire heureux. Entre temps, il écrit des vers héroïques ; ça ne fait de mal à personne. Il a envie d’être immortel et les méchants de la Coupole, désaltérés par ses soins, lui jouent le tour de ne jamais voter pour lui. Il invite aussi à la campagne, car il a, bien entendu, un magnifique château, l’infortuné, une de ces demeures historiques où le propriétaire dépaysé s’ennuie comme un pou de quatre cent cinquante mille livres de rentes, en proie à ses jardiniers, basse-couriers, gardes-chasse et chauffeurs. Oh ! le vaste domaine, quelle chose horrible, quel poids, quelle prison pour le propriétaire et les hôtes ! Je frémis à l’idée que je pourrais habiter Chenonceaux ou Langeais, ou n’importe quelle autre « merveille » de cette catégorie et qu’il me faudrait y héberger quelques têtes livides de ma connais-