Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/595

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« À trois heures du matin, je suis réveillé par un bruit extraordinaire de coups frappés à ma porte, à un mètre environ au-dessus du sol. Je me lève, j’allume, je saisis mon revolver, j’ouvre, et que vois-je ? le chat du poste, le chef enfoncé jusqu’à la garde dans la boîte de conserve, de forme cylindrique, retenu par les éclats de fer-blanc, tourbillonnant comme un dragon chinois terminé en figure de géométrie et heurtant l’huis de toutes ses forces. Mon ami avait fait comme moi. Nous nous trouvions l’un en face de l’autre, livides, l’arme à la main, devant ce petit monstre en rotation ». L’impavide, riant, ajoutait : « C’est une de mes plus belles peurs ».

On parlait de la dysenterie africaine. Hourst à Marchand : « Qu’est-ce que tu fais, toi, mon grand, quand cette sale histoire te tord les boyaux ? » Réponse militaire : « J’m’assieds dessus ». Puis, après un moment de réflexion : « Cela arrive surtout à ceux qui s’habituent à boire de l’eau filtrée. Le jour où elle leur manque, ils sont pincés. Le vrai filtre, c’est le corps en travail et en sueur ». Le mélange de gaieté, de tension et de bon sens, chez ce passionné d’activité physique, est remarquable. Il est pour les coups de collier, mais il croit à la vertu du divertissement. C’est un organisateur de parties de premier ordre, consultant les horaires, commandant les voitures, les menus, avec une ponctualité napoléonienne, encore qu’invité à dîner en ville, il arrive assez régulièrement avec une heure de retard. C’est qu’il s’est oublié à achever de lire un ouvrage de chimie, de physique ou de cosmographie. Car il y a en lui du pâtre chaldéen, et il a écrit sur les astres. « les graves », comme il les appelle, des pages d’une pénétrante poésie, d’une indiscutable génialité. En médecine, où je m’y connais un peu, il a des aperçus d’une grande sagesse, tirés de son expérience personnelle, sur l’importance du moral et de la maîtrise de soi : « Vingt fois, si je m’étais laissé aller, ou laissé impressionner par les mines de mon toubib, j’aurais été dans la boîte à dominos. La Camarde venait, me faisait signe, je lui disais non et elle s’en allait ».

Il possède une oreille d’indien et de trappeur, par-dessus le marché, de musicien. Il chante comme Donnay, comme mon pauvre Vivier, comme Rusiñol, comme Camille Bellaigue, comme ceux qu’habite le démon sonore. Un soir dans un cabi-