Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/601

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sinage de Zola et d’Hermant. Quelquefois, la Providence ayant de ces malices, le petit « Bébel » ou « l’Abel au bois d’Hermant », comme nous l’appelions, apparaissait dans les remous de la presse, pareil à un minet de porcelaine rose, de la fabrique de Copenhague, et « chercheint un rafraîchissemeint ». Alors, c’était une folle allégresse. Derrière lui venait Constantin Brancovan, empressé et délicat entre tous, mais avide de philosophie comme il n’est pas possible, sa petite tête de persan sérieux tournée vers les étoiles, inattentive aux spectacles et rumeurs d’ici-bas.

« Constantein, — appelait Hermant, fier de tutoyer un prince en public, — Constantein, j’ai une place pour toi. Mets-toi là et pose ton pardessus près de moi. »

Puis Hervieu passait, somnolent et pointeur, suivi de personnages officiels, le profil en croûton de pain, saluant les dames avec déférence ; puis Lavedan, avec ses yeux bridés, écarquillés dans un rire stéréotypé de bourreau chinois, accompagné de son odeur fade. L’intense lumière électrique creusait les visages comme au burin, rendait les vieux plus vieux et singularisait les imbéciles. C’était un album ininterrompu de victimes, qui venaient s’offrir à Forain et à Caran, lesquels crayonnaient parfois, sur la table ou la nappe, ces permissionnaires du purgatoire terrestre.

Il serait intéressant de savoir aujourd’hui quel fut le pourcentage des visiteurs allemands de cette exposition universelle, point de départ de leur pullulement économique en France, pendant les quatorze années qui suivirent. Il me semble, à distance, qu’ils s’y montrèrent assez peu. On entendait parler surtout l’anglais, l’espagnol et l’italien et les types classiques du boche barbu, familier, à lunettes et chapeau mou verdâtre, ou du boche glabre et tondu, à masque de cabotin militaire et vicieux, n’étaient pas très fréquents. Mais ce n’est sans doute qu’une impression. Une pareille agglomération d’étrangers, de toutes classes et de tous tempéraments, eût pu être une mine d’observations ethniques et psychologiques incomparables. Malheureusement, nous ne songions qu’à nous divertir, qu’à baguenauder, déguster des crus fameux, ou écouter de la musique, en regardant couler le fleuve humain. C’est à peine si nous parcourions les galeries remplies de merveilles, disait--