Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/615

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lyrique — un des plus beaux noms de l’histoire de France — qui remplissait la maison de notre amie de son exubérante gaieté et de son rire d’argent clair. Bien que petite de taille, elle tenait en main et cravachait les chevaux du soleil, à travers les gouffres bleus de la fantaisie verbale la plus étourdissante. Elle animait la pierre et le métal, faisait du chou à la crème du parrain Gaulot une Alpe en miniature et reculait les murs à l’infini. Fille d’une musicienne de premier ordre, elle avait l’oreille juste pour les mots, non pour les idées et les jugements, demeurés enfantins ou rudimentaires, mais entraînés dans le tourbillon le plus généreux. C’est ainsi qu’elle arrivait à faire scintiller les cailloux de 1789 aussi brillamment que dans Michelet, depuis ce galet perforé de Mirabeau, jusqu’au silex de Robespierre et au conglomérat de Danton. Il était amusant de la contredire, pour voir apparaître aussitôt les erreurs du siècle précédent et celle de la fin du XVIIIe siècle, du romantisme à l’Encyclopédie, habillées à la moderne de brocart et de soie, avec une richesse incomparable, rajeunies, revivifiées pour le temps de ses impétueux discours. Descendante de héros roumains, fragile et puissante dans sa multiple personne, comme dans le contraste de son verbe et de sa pensée, cette radieuse illusionniste n’avait certes rien d’une étrangère. Elle était plutôt une éloignée dans le temps, une réapparition enchanteresse de ces dames de la cour, qui s’attendrissaient sur le progrès des mœurs et les nouveaux principes de fraternité, quelques mois avant l’échafaud.

Sa prose, à mon avis, ne vaut pas ses vers, quelquefois remarquables quand ils sont de description pure, quand ils évoquent un souvenir ou une nostalgie, quand ils ne sont ni surabondants, ni diffus. Mais c’est dans l’improvisation de la causerie que je la préfère et de beaucoup, pareille à une fée surgie du plancher, pour calmer à point la souffrance latente qui naît de la vue plate des choses et des gens. Quelles girandoles elle allumait, quelles fêtes sur les pelouses et sur l’eau, quels palais de lumière elle dressait, assise toute menue dans un grand fauteuil, ou bien accoudée à la tapisserie, sous un vaste chapeau, et cherchant, d’une main fine et prompte, dans l’infini le terme juste. Évoqué par elle. Racine redevenait le petit joueur de la Ferté-Milon — comme elle l’a dit délicieuse-