Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/625

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Vivier n’admettait pas que son malade mourût. Je l’ai vu aller chercher sous les ombres ma chère grand’mère maternelle, âgée de quatre-vingt-un ans, et lui donner huit ans de sursis. Dans ces cas, il était étonnant et atteignait au sublime. Il s’installait au chevet des moribonds, il les surveillait minute par minute, les alimentait, les soutenait à l’aide de petits trucs à lui, réveillait leur moral, leurs espérances, les réintéressait à l’existence. Il ressemblait au tapissier diligent, qui reprend, point par point, l’étoffe usée et déchirée, reconstitue les couleurs et les figures. Grand savant, au courant comme pas un de tous les raffinements et de tous les progrès de la culture médicale, il se muait en grand artiste, et les deux se fondaient dans une espèce de paternité ou de fraternité tendre, que je n’ai connue qu’à lui. Il distribuait, à ses clients, de son âme harmonieuse et rayonnante. Il les réchauffait à sa lumière.

Il avait été l’élève de Brissaud, auquel il gardait une reconnaissance émue. Cependant il se séparait, en tout et pour tout, de l’école de l’expectative et de l’abstention thérapeutique, que représentait le bon Brissaud, sceptique et candide à la fois. Vivier professait qu’aucun cas, si grave soit-il, n’est forcément désespéré, puisqu’on a vu rétrograder le cancer et s’interrompre la paralysie générale, puisqu’on connaît des tabès bénins et des cavernes pulmonaires, au troisième degré, cicatrisées. Aussi son premier soin était-il de donner, au malade gravement atteint qui le consultait, la certitude de la guérison et de lui inculquer, comme il disait, « la glorieuse volonté d’en sortir. » Au rebours des charlatans, qui imposent des régimes compliqués et droguent surabondamment, transformant leurs clients en cornues, il limitait les interdictions et il n’ordonnait que peu de remèdes, judicieusement choisis, dont il expliquait l’action avec grands détails. Il faisait voir les parcelles de fer s’incorporant à l’hémoglobine du sang, la lutte de l’arsenic ou du mercure avec le tréponème, la crétification des nodules tuberculeux sous l’influence du gayacol, l’imprégnation de la névroglie par le chlorure d’or, la fonte de la sclérose, locale ou généralisée, par l’asclérine, l’endormement de l’excès d’influx nerveux par le valérianate ou le bromure. Ainsi reliait-il, pour commencer, l’imagination à la substance thérapeutique et au champ des cellules que celle-ci devait imprégner, de telle façon