Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/626

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que la volonté eût prise sur ces cellules et cette substance, au lieu de broyer à vide. Écoutez-le :

« Je pense, vieux Léon, que le désir naturel qu’ont les patients de savoir la cause et l’évolution de leur mal est louable et utile. Celui qui sait où et comment il souffre, où et comment doit être porté le soulagement à sa souffrance, et la marche de sa guérison, considérée comme certaine, celui-là est déjà à moitié guéri. Au besoin, je lui proposerai un petit schéma de la lutte qui va s’accomplir en lui et lui demanderai d’y réfléchir, mais là sérieusement, une demi-heure le matin, et une demi-heure le soir. La peur, le désir agissent sur l’organisme, selon des réflexes irrésistibles, qui sont de vieux chemins héréditaires. Pourquoi la volonté de guérir n’agirait-elle pas sur des points déterminés et signalés à l’avance comme fixatifs, comme adjuvants ? »

Principe remarquable et qui, dans les mains de Vivier, donnait de surprenants résultats. Je l’ai vu prolonger des gens âgés, arrivés à l’ultime période de la sclérose cardiaque, vasculaire ou médullaire, comme l’horloger qui ferait marcher les aiguilles d’une montre, pendant des semaines, avec ses doigts. Il leur permettait de penser à leur lésion organique tant de minutes, avec toute l’intensité dont ils étaient capables, et de s’en distraire le reste du temps. Il n’est rien de pis que la délectation morose, que la passivité dans le tædium vitæ. Il n’est rien de plus tonique que l’application représentative du vouloir, que l’exercice pathologico-spirituel. L’avenir de la médecine est là et j’en dégageais, avec mon cher Vivier, la formule : « Tout remède doit être accompagné par l’esprit, soutenu, multiplié par le vouloir ».

Le génie propre de ce guérisseur consistait, en cas de fléchissement complet, à substituer son énergie à celle de son malade, à remplacer le potentiel absent. Représentez-vous cet homme généreux, atteint lui-même gravement, et qui puisait, dans la résistance à son propre mal, quotidienne, appliquée, farouche, de quoi panser les plaies des autres et faire reculer leur trépas. J’ai essayé de rendre assez gauchement cela dans la Lutte, mais il y faudrait la plume de Pascal et de Shakespeare à la fois, tant ce surprenant effort conjoignait les deux grandeurs, celle que nous pouvons concevoir et toucher, et celle qui n’a plus son