Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/63

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pièce remplie de livres d’où montaient, vers l’étage supérieur, des petits escaliers en colimaçon ! Désiré Lemerre, mon vieux camarade, habite encore là, mais je n’y vais jamais, de crainte d’y retrouver trop de chers souvenirs et de me mettre à pleurer, comme un imbécile, devant la fameuse vignette de « l’homme qui bêche ». Il en a creusé des tombes, l’animal, depuis qu’il travaille, infatigable, au seuil de la célèbre maison !

Certains écrivains, et non des moindres, ont eu des démêlés avec leurs éditeurs. Ce cas n’était pas celui de mon père, ami de Charpentier, de Lemerre, de Fasquelle, d’Arthème Fayard, très lié avec Marpon, Flammarion et Dentu. Il n’est pas le mien davantage. Les luttes et divergences politiques n’ont jamais altéré mes affectueux rapports avec Eugène Fasquelle, chez qui j’ai publié dix-neuf volumes, sans autre traité qu’une convention verbale qui dure entre nous depuis vingt-deux ans. Arthème Fayard, vulgarisateur de la bonne littérature, est mon plus ancien condisciple. Nous éprouvons un plaisir mélancolique à parler ensemble de jadis, et j’espère bien que nos fils seront liés aussi durablement que l’ont été leurs pères. Car cela fait au moins, sans nous flatter, une jolie pièce de trente ans, mon cher Arthème… Enfin Georges Valois, qui publie ces souvenirs, est pour moi non seulement un confrère, et de marque, mais encore un compagnon d’armes. S’il n’eût été là, qui donc aurait osé prendre la responsabilité d’éditer un ouvrage comme l’Avant-Guerre ?

Donc, on était presque sûr de rencontrer chez Lemerre quelques-uns de ceux que voici :

José-Maria de Heredia, pâle et noir, splendide et velu jusqu’aux yeux. Je n’ai jamais entendu bégayer avec autant de force et d’autorité Mariéton lui-même, qui disait de Heredia : « Ce n’est qu’un M..... Ma..... Mariéton de Cuba », Mariéton n’avait pas sur la dernière syllabe du mot cette puissance explosive. En outre, José-Maria utilisait ce défaut pour mettre en valeur le trait final et sublime — au sens prosodique — de ses célèbres sonnets, légèrement imités de ceux de Nerval :

Et de ce m.m.m..arbre mort on fait un Dieu vivant.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme une mer im.m.m.mense où fffuyaient des galères.