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SALONS ET JOURNAUX

cet ensemble solide et éprouvé de professionnels, sur quoi j’ai déjà insisté et par lequel vit et prospère un journal. Je les ai toujours tenus pour de bons camarades, tranquilles et loyaux, attentifs à leur besogne, avec lesquels aucun ennui n’est à redouter. Leroy est devenu, depuis la fondation, mon collaborateur à l’Action française. Monniot a maintenu autant qu’il a pu sa tradition belliqueuse et hardie à la Libre Parole, que ne dirigeait plus Drumont. Boisandré est mort prématurément. Mort aussi, le cher commandant Biot, de si fière allure en dépit de son grand âge, et qui nous a rendu d’incomparables services, à Maurras et à moi, au secrétariat de l’Action française. Le commandant Biot avait fait la guerre de 70 au premier rang, connu la captivité en Allemagne après l’amertume des revers, et gardé au cœur la salubre haine du Boche. Il a vécu assez, heureusement, pour saluer la victoire de la Marne, prévue, annoncée par lui, aurore de la revanche et des réparations historiques. Sa droiture et sa dignité apparaissaient dans sa silhouette, demeurée haute et solide, dans son regard direct, dans sa poignée de main, dans sa bonne voix mâle, chaude, assurée. Il était un des doyens de la presse parisienne, universellement aimé et respecté. Il aimait farouchement son pays et son métier, fidèle à la consigne comme un grenadier de Napoléon, inaccessible au doute, au découragement, à la crainte, assumant les besognes et les responsabilités jusqu’au bout, sans broncher. Des caractères de la trempe du commandant Biot, transmis de génération en génération, rendent tout simplement la France invincible. Ils sont le tuf ethnique de la résistance à l’ennemi.

En dehors de la rédaction fixe, venaient à la Libre Parole un grand nombre de confrères et d’hommes politiques tels que le malingre Firmin Faure, le bavard Thiébaud, le sérieux Congy, le rouge Barillier, le petit démon de Montmartre, Charles Bernard, pharmacien, député, humoriste, des visiteurs, de simples curieux. Drumont faisait à tous un accueil cordial, résigné d’avance à être dérangé toutes les deux minutes, écoutant avec scepticisme les histoires, les avis, les nunus, renvoyant à Devos, à Méry, à Ménard, la partie du courrier qui les concernait, riant dans sa barbe en envoyant coucher les mécontents. Il arrive un moment où le directeur d’une feuille