Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/81

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J’avais comme camarades d’études, en philosophie B, outre Chavannes déjà nommé, Joseph Bédier, vétéran, qui depuis a écrit de si belles pages sur les légendes françaises ; Bérard, auteur de solides études de politique étrangère dans la Revue de Paris et bras droit de l’irascible Lavisse ; Couyba, devenu bête-à-portefeuille tantôt dans un ministère, tantôt dans un autre, et sénateur de la majorité, quelle que soit cette majorité. Brave Couyba ! C’était tout de même un « chic type », pour employer la formule universitaire et je ne me rappelle pas sans émotion l’impossibilité totale où il était de prononcer intelligiblement son nom. Cela était cause, entre Burdeau et lui, de scènes inénarrables. Il faut ajouter, en confidence, que Couyba, depuis ministre de l’Instruction publique — tout comme Lockroy, — était un élève des plus médiocres.

— J’ai reçu, déclarait Burdeau, une copie absurde de ce mossieur dont je ne déchiffre jamais la signature.

Couyba commençait à pâlir. Il s’était reconnu dans ce signalement. Nous nous mettions à pouffer, prévoyant la suite.

— Comment vous appelez-vous ?

— Oubô, m’sieur…

— C’est impossible, invraisemblable. Vous ne vous appelez pas Oubô. Épelez votre nom.

— Oui, m’sieur, oui, m’sieur.

— Je vous ordonne d’épeler votre nom. Ou plutôt, venez l’écrire au tableau.

— Non, m’sieu, non, m’sieur. J’suis pas un gosse.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que je vous l’ai déjà épelé. Je m’appelle Voubô.

— Alors, vous serez consigné.

— Oui, m’sieur, oui, m’sieur.

J’espère pour Couyba qu’il est plus éloquent au Conseil des ministres qu’il ne l’était en philosophie, et que ses collègues ont fini par savoir son nom. J’ai bien ri en lisant de lui, l’année dernière, un discours de distribution de prix — précisément à Louis-le-Grand, je crois, — où il se plaignait de l’ignorance des nouvelles couches en langue grecque. Couyba, en effet, n’a jamais pu articuler un seul mot de grec, et il n’était pas beaucoup plus fort en latin. En revanche, il avait dès cette époque des dispositions poétiques et montmartroises. Son langage était