Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/82

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libre, amusant et coloré. Il n’aimait pas notre professeur d’histoire naturelle, M. Mangin, qui a fait depuis une belle carrière, travailleur acharné, lequel de son côté détestait les paresseux. Dès que M. Mangin citait un animal quelconque, la voix de Couyba demandait, en termes nets, des détails crus sur ses facultés de reproduction. À quoi la réponse rituelle :

— Couyba, vous serez consigné sans exemption.

Le long du mur de la première cour, pendant les récréations, nous nous promenions par groupes sympathiques. Couyba faisait partie du groupe Syveton. Pauvre Syveton, il avait déjà son air froid, ses yeux aigus et son gros rire. Nous avons maintes fois, depuis lors, évoqué ensemble la classe de Burdeau et ses souvenirs joyeux. J’étais loin de prévoir que celui-là entrerait dans la mort par la porte ténébreuse de l’assassinat politique. Parmi les disparus de la classe Burdeau, il faut encore compter Marcel Schwob, déjà érudit, mais dédaigneux du programme, et qui battait les buissons au détriment des succès immédiats. Il parlait couramment l’anglais et l’allemand, en sa qualité de juif polyglotte, et lisait Emmanuel Kant dans le texte. Cela aurait dû séduire Burdeau. Cependant il négligeait Schwob.

Enfin, je n’aurai garde d’oublier Paul Claudel, l’auteur dramatique le plus difficile, mais le plus riche en métaphores neuves et hardies de sa génération, Paul Claudel au regard de feu et au débit précipité, qui avait fréquemment des attrapades avec notre maître. En bon jacobin, Burdeau ne supportait guère la contradiction et il avait, je crois, flairé en Claudel un médiocre admirateur de l’Impératif catégorique. D’où des discussions rapides et flamboyantes comme des passes d’armes, qui laissaient les deux adversaires frémissants et irrités. Ce n’était pas, comme on le voit, une classe banale. Alphonse Daudet a eu bien raison de soutenir que la métaphysique allemande avait joué un rôle considérable dans la déformation de l’intelligence française, entre 1880 et 1895. Il y a eu là, comme disent nos pesants voisins, quinze années de tempête et d’assaut. Le plus fort, c’est que cette imprégnation, que cette pénétration se soient faites au nom du patriotisme « bien compris ». Ne fallait-il pas, avant toute chose, connaître à fond nos vainqueurs et nous soumettre à une discipline mentale où se trou-