Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/83

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vait — selon Burdeau et les autres — le secret de leurs récentes victoires.

Le résultat de ce gavage évolutionniste et criticiste, poursuivi avec acharnement par un politicien grimé en apôtre et qui nous en imposait, ce fut l’anarchie pure et simple. L’Inconscient de Hartmann et les ouvrages de Schopenhauer, avidement lus et commentés, s’ajoutaient à Kant pour combattre en nous le bon sens national et les traditions de méthode et de mesure héritées de nos pères. Notre crise d’encéphalite — comme a dit Renan — nous détachait de toute croyance, et les comédies patriotiques de Burdeau ne compensaient pas ces démolitions. Le temps n’a point affaibli chez moi le souvenir douloureux de cette effraction de mon esprit par les insanités germaniques. Elles ont pesé sur mes jugements, impérieusement jusqu’à l’affaire Dreyfus, bien qu’à maintes reprises j’aie été tenté de les secouer avec violence. Mais elles reprenaient rapidement leur pouvoir. La formation médicale, qui est en somme très grossière, n’arriva point à les dissiper. Au contraire, en m’y abandonnant, je croyais réagir contre le matérialisme scientifique, dont elles sont précisément l’adjuvant. Je l’écris avec certitude : le kantisme est un poison pour l’intelligence française. Il l’engourdit et il la paralyse. Tout père de chez nous, soucieux de transmettre le flambeau de sa race, devra en préserver ses fils. Il ne leur laissera pas ignorer, mais il leur montrera son venin.

Je crois aux formations successives. Jusqu’à dix ans, l’enfant est un petit sage, un judicieux bonhomme, et ceux qui se sont élevés contre la première communion à sept ans ont prouvé qu’ils ignoraient tout du jeune être pur et lucide, prêt au divin, que cet âge a formé. De dix à dix-sept ans, ou un peu plus tard suivant le cas, l’adolescent est un sexuel. Ce mot dit tout et indique de quel côté sont les pièges les plus graves qui menacent l’existence, risquent de la gâcher à jamais. Ce laps est celui des images troubles, renforcées par la volupté soudaine, quelquefois indéracinables. Interrogez les débauchés et les pervertis. Ils vous confieront toujours que leur vice remonte à un songe malsain, poursuivi pendant l’adolescence, à une mauvaise rencontre, à une influence de cette époque réellement climatérique. De dix-huit à vingt ans, c’est le goût de la spécu-