Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/100

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se laisse aller à frapper le visage d’une belle dame, ou même à lui arracher un cheveu. Quant à celui qui lui verse le poison, ou qui lui chasse l’âme du corps avec le lacet ou le couteau, je ne croirai jamais que ce soit un homme, mais bien, sous figure humaine, un esprit de l’enfer.

Tels devaient être les deux bandits que Renaud chassa loin de la donzelle par eux conduite dans ces obscurs vallons, afin qu’on n’en eût plus de nouvelles. J’en suis resté au moment où elle s’apprêtait à expliquer la cause de sa malheureuse aventure au paladin qui l’avait si généreusement secourue. Or, poursuivant mon histoire, c’est ce que je vais dire.

La dame commença : « Tu vas entendre raconter la plus grande, la plus horrible cruauté qui, à Thèbes, à Argos, à Mycènes ou dans un lieu plus barbare encore, ait jamais été commise. Et si, projetant tout autour de lui ses clairs rayons, le soleil s’approche moins d’ici que d’autres contrées, je crois qu’il arrive peu volontiers jusqu’à nous afin d’éviter de voir de si cruelles gens.

« Qu’à leurs ennemis les hommes soient cruels, en tout temps on en a vu des exemples. Mais donner la mort à qui vous fait et n’a souci que de vous faire constamment du bien, cela est trop injuste et inhumain. Et afin que je te fasse mieux connaître la vérité, je te dirai, depuis le commencement, les raisons pour lesquelles ceux-ci, contre toute justice, voulaient faucher mes vertes années.