Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/102

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« Pendant de longs jours et de longs mois, nous continuâmes en secret ce jeu amoureux. Mon amour croissait toujours, et je m’enflammai tellement, qu’au dedans de moi-même je me sentais toute de feu. Et je devins aveugle au point de ne pas voir qu’il feignait de m’aimer beaucoup, quand en réalité il m’aimait fort peu. Cependant ses tromperies auraient pu se découvrir à mille signes certains.

« Au bout de quelque temps, il se montra soudain amoureux de la belle Ginevra. Je ne sais vraiment si cet amour commençait alors seulement, ou s’il en avait déjà le cœur atteint avant de m’aimer moi-même. Vois s’il était devenu arrogant avec moi, et quel empire il avait pris sur mon cœur ! Ce fut lui qui me découvrit tout, et qui ne rougit pas de me demander de l’aider dans son nouvel amour.

« Il me disait bien qu’il n’égalait pas celui qu’il avait pour moi, et que ce n’était pas un véritable amour qu’il avait pour Ginevra ; mais, en feignant d’en être épris, il espérait célébrer avec elle un légitime hymen. L’obtenir du roi serait chose facile, si elle y consentait, car dans tout le royaume, après le roi, il n’y avait personne, par sa naissance et son rang, qui en fût plus digne que lui.

« Il me persuada que si, par mon concours, il devenait le gendre du roi, — ce qui, comme je pouvais voir, l’élèverait aussi près du roi qu’un homme puisse s’élever, — il m’en récompenserait