Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/104

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« L’amour donc qu’elle portait à ce dernier, avec un cœur sincère et une foi profonde, fit qu’en faveur du duc je fus mal écoutée, et que jamais elle ne me donna une réponse qui permît d’espérer. Bien plus, quand je priais pour lui et que je m’étudiais à l’attendrir, elle, le blâmant et le dépréciant toujours, lui devenait de plus en plus ennemie.

« Souvent j’engageai mon amant à abandonner sa vaine entreprise, l’assurant qu’il n’avait pas à espérer de changer l’esprit de Ginevra, trop occupée d’un autre amour ; et je lui fis clairement connaître qu’elle était si embrasée pour Ariodant, que toute l’eau de la mer n’éteindrait pas une parcelle de son immense flamme.

« Polinesso, — c’est le nom du duc, — m’ayant entendu plusieurs fois tenir ce langage, et ayant bien vu et bien compris par lui-même que son amour était très mal accueilli, non seulement renonça à un tel amour, mais, plein de superbe, et souffrant mal de voir qu’un autre lui était préféré, changea son amour en colère et en haine.

« Et il songea à élever entre Ginevra et son amant un tel désaccord et une telle brouille, à faire naître entre eux une telle inimitié, qu’ils ne pussent plus ensuite jamais se rapprocher. Enfin, il résolut de jeter sur Ginevra une telle ignominie, que, morte ou vive, elle ne pût s’en laver. Et il se garda bien de parler à moi ni à d’autres de son inique dessein, mais il le garda pour lui seul.

« Sa résolution prise : " Ma Dalinda, — me dit-il, — c’est ainsi que je me nomme,— il faut