Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/124

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bandonner la vie, il se mit en route, les vêtements imprégnés et amollis par l’eau, et arriva à la demeure d’un ermite. Il y demeura secrètement, attendant de savoir quel effet la nouvelle de sa mort avait fait sur Ginevra ; si elle s’en était réjouie, ou si elle en avait été triste et affligée.

Il apprit d’abord que, dans sa grande douleur, elle avait failli mourir — le bruit s’en était répandu rapidement dans toute l’île — résultat tout à fait contraire à ce qu’il attendait, d’après ce que, à son extrême chagrin, il croyait avoir vu. Il sut ensuite comment Lurcanio avait accusé Ginevra auprès de son père.

Il ressentit autant de colère contre son frère, qu’il avait eu jadis d’amour pour Ginevra. Cette action lui paraît trop impie et trop cruelle, encore qu’elle ait été faite pour lui. Enfin il fut informé qu’aucun chevalier ne s’était présenté pour défendre Ginevra, car Lurcanio était si fort et si vaillant, que personne n’avait garde de se mesurer à lui.

Et puis il était connu pour un homme discret, et si sage et si avisé que, si ce qu’il avait raconté n’eût pas été vrai, il ne se serait pas exposé à la mort pour le soutenir. C’est pourquoi la plupart hésitaient à défendre une cause peut-être mauvaise. Ayant appris cela, Ariodant, après s’être tenu à lui-même de grands discours, se résolut à relever l’accusation de son frère.

« Hélas ! je ne pourrais — disait-il en lui-même — la laisser périr à cause de moi. Ma mort