Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/174

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« C’est à cause de lui que le roi de Tartarie Agrican a défait mon père Galafron qui, dans l’Inde, était grand khan du Cathay ; et depuis j’en suis réduite à changer d’asile soir et matin. Puisque tu m’as ravi fortune, honneur, famille, et puisque tu m’as fait tout le mal que tu peux me faire, à quelles douleurs nouvelles veux-tu me réserver encore ?

« Si tu ’n’as pas jugé assez cruel de me faire périr dans la mer, je consens, pour te rassasier, à ce que tu m’envoies quelque bête qui me dévore, mais sans m’outrager davantage. Quel que soit le martyre que tu me destines, pourvu que j’en meure, je ne pourrai trop t’en rendre grâces. » Ainsi disait la dame, au milieu d’abondantes larmes, quand elle aperçut l’ermite à côté d’elle.

De la cime d’une roche élevée, l’ermite avait vu Angélique, au comble de l’affliction et de l’épouvante, aborder à l’extrémité de l’écueil. Il était lui-même arrivé six jours auparavant, car un démon l’y avait porté par un chemin peu fréquenté. Il vint à elle, avec un air plus dévot que n’eurent jamais Paul ou Hilarion.

A peine la dame l’a-t-elle aperçu, que, ne le reconnaissant pas, elle reprend courage ; peu à peu sa crainte s’apaise, bien qu’elle ait encore la pâleur au visage. Dès qu’il est près d’elle, elle dit : « Ayez pitié de moi, mon père, car je suis arrivée dans un mauvais port. » Et d’une voix interrompue par les sanglots, elle lui raconte ce qu’il savait parfaitement.