Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/179

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beauté qui ternit l’éclatante renommée et la haute intelligence du puissant seigneur d’Anglante ; la grande beauté qui bouleversa tout le Levant et l’apaisa d’un signe, est maintenant si délaissée, qu’elle n’a personne qui puisse l’aider même d’une parole.

La belle dame, plongée dans un profond sommeil, fut enchaînée avant qu’elle se fût réveillée. On la porta, ainsi que l’ermite enchanteur, dans la fuste remplie d’une troupe affligée et chagrine. La voile, déployée au haut du mât, ramena le navire à l’île funeste où l’on enferma la dame dans une dure prison, jusqu’au jour où le sort l’aurait désignée.

Mais elle était si belle, qu’elle émut de pitié ce peuple cruel. Pendant plusieurs jours ils différèrent sa mort, la réservant pour un plus pressant besoin ; et tant qu’ils purent trouver au dehors quelque autre jeune fille, ils épargnèrent cette angélique beauté. Enfin elle fut conduite au monstre, toute la population pleurant derrière elle.

Qui racontera ses angoisses, ses pleurs, ses cris et les reproches qu’elle envoie jusqu’au ciel ? Je m’étonne que le rivage ne se soit pas entr’ouvert quand elle fut placée sur la froide pierre, où, couverte de chaînes, privée de tout secours, elle attendait une mort affreuse, horrible. Je n’entreprendrai pas de le dire, car la douleur m’émeut tellement, qu’elle me force à tourner mes rimes ailleurs,

Et à trouver des vers moins lugubres, jusqu’à ce que mon esprit se soit reposé. Les pâles cou-