Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/286

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reconnus que je ne m’appartenais plus moi-même. Pourtant, bien que cet amour se fût emparé de moi en maître, je m’applaudissais de ce que le hasard n’avait point mal placé mon cœur, mais l’avait au contraire donné à l’objet le plus digne qui fût au monde.

« Zerbin l’emportait sur tous les autres seigneurs en beauté et en vaillance. Il se montra épris pour moi — et je crois qu’il l’était en effet — d’un amour non moins ardent que le mien. Nous ne manquâmes pas de nous exprimer souvent notre commune ardeur, et quand, par la suite, nous fûmes séparés, nos âmes restèrent toujours unies.

« Car, les grandes fêtes terminées, mon Zerbin retourna en Écosse. Si tu sais ce que c’est que l’amour, tu peux juger combien je fus triste, pensant à lui nuit et jour. Et j’étais certaine que sa flamme ne brûlait pas moins vive dans son cœur. Il n’avait d’autre désir que de trouver un moyen pour m’avoir près de lui.

« Et comme nos croyances opposées — il était chrétien et moi musulmane — ne lui permettaient pas de me demander pour femme à mon père, il se décida à m’enlever secrètement. Sur les confins de ma riche patrie aux campagnes verdoyantes longeant l’Océan, était un beau jardin, sur une rive d’où l’on découvrait toutes les collines environnantes et la mer.

« Ce lieu lui parut propice à l’enlèvement auquel le forçait à recourir la diversité de nos religions. Il me fit savoir les mesures qu’il avait prises pour