Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/303

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verrai-je, comment le reconnaîtrai-je jamais ? Pourquoi veux-je en croire plutôt à autrui qu’à mes propres yeux ? À défaut de mes yeux, mon cœur me dit s’il est loin ou près. »

Pendant qu’elle se parle ainsi, elle croit entendre la voix de Roger qui appelle à son secours. Elle le voit en même temps éperonner son cheval rapide et lui retenir le mors, tandis que ses deux féroces ennemis le suivent et le chassent à toute bride. La dame s’empresse de les suivre et arrive avec eux dans la demeure enchantée.

Elle n’en a pas plus tôt franchi les portes, qu’elle tombe dans l’erreur commune. Elle cherche en vain Roger de tous côtés, en haut, en bas, au dedans et au dehors. Elle ne s’arrête ni jour ni nuit ; et l’enchantement était si fort, et l’enchanteur avait été si habile, qu’elle voit sans cesse Roger et lui parle sans qu’elle le reconnaisse, ou sans que Roger la reconnaisse elle-même.

Mais laissons Bradamante, et n’ayez pas de regret de la savoir en proie à cet enchantement. Quand il sera temps qu’elle en sorte, je l’en ferai sortir, et Roger aussi. De même que le changement de nourriture ranime l’appétit, ainsi il me semble que mon histoire risquera d’autant moins d’ennuyer qui l’entendra, qu’elle sera plus variée.

Il faut aussi que je me serve de beaucoup de fils pour tisser la grande toile à laquelle je travaille. Qu’il ne vous déplaise donc pas d’écouter comment, sortie de ses tentes, l’armée des Maures a pris les armes pour défiler devant le roi Agra-