Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/316

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que la mort elle-même. Ils ne peuvent supporter de se voir enlever la vie qui leur est chère par un tronçon de lance, et de mourir sous d’étranges coups, comme des couleuvres ou des grenouilles.

Mais, quand ils se furent aperçus que de toute façon il est désagréable de mourir, et près des deux tiers d’entre eux étant déjà tués, les autres commencèrent à fuir. Comme s’il les considérait comme son propre bien, le cruel Sarrasin ne peut souffrir qu’un seul de cette troupe en déroute s’échappe de ses mains la vie sauve.

De même que les roseaux desséchés dans les marais, ou le chaume dans les champs dénudés, ne résistent pas longtemps au souffle de Borée attisant le feu allumé par le prudent agriculteur, alors que la flamme court par les sillons, crépite et crie, ainsi ces malheureux se défendent à peine contre la fureur dont Màndricard est enflammé.

Dès qu’il voit sans défenseur l’entrée qui a été si mal gardée, il s’avance par le sentier fraîchement tracé dans l’herbe, guidé par les lamentations qu’il entend, pour voir si la beauté de la dame de Grenade mérite les éloges qu’on en fait. Il passe sur les corps des serviteurs morts, et suit les contours du fleuve.

Il voit Doralice au milieu du pré — c’est ainsi que se nommait la donzelle — assise au pied d’un vieux frêne sauvage ; elle se désolait. Les pleurs, comme un ruisseau qui coule d’une source vive, tombaient sur son beau sein, et l’on voyait sur son visage qu’elle se lamentait sur le sort de ses