Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/317

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compagnons autant qu’elle craignait pour elle-même.

Sa terreur s’accrut, quand elle vit venir le chevalier souillé de sang, l’air farouche et sombre. Ses cris montent jusqu’au ciel ; elle tremble pour elle et pour ceux qui sont avec elle ; car, outre l’escorte de chevaliers, la belle infante avait, pour la conduire et la servir, des vieillards et un grand nombre de dames et de damoiselles, les plus belles du royaume de Grenade.

Des que le Tartare voit ce beau visage qui n’a point son pareil dans toute l’Espagne, et qui peut dans les pleurs — que devait-ce être quand il souriait ! —tendre les inextricables rets d’amour, il ne sait s’il est encore sur terre ou dans le paradis. Il n’a tiré d’autre gain de sa victoire que de devenir le captif de sa prisonnière, et il ne sait comment cela s’est fait.

Cependant il ne saurait consentir à abandonner le fruit de ses peines, bien que par ses pleurs elle montre, autant qu’une femme peut le montrer, sa douleur et sa répugnance. Mais lui, espérant changer ces pleurs en joie suprême, se décide à l’emmener. Il la fait monter sur une blanche haquenée, et reprend son chemin.

Il rend la liberté aux dames, aux damoiselles, aux vieillards et aux autres qui étaient venus avec la princesse de Grenade, et leur dit doucement : « Elle sera suffisamment accompagnée par moi. Je lui servirai de majordome, de nourrice,d’écuyer ; bref, je pourvoirai à tous ses besoins ; adieu donc