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CHANT IV

l’affût du chevreau. Sans plus de retard, elle se lève aussitôt qu’il est près d’elle et le saisit étroitement. Le malheureux avait laissé à terre le livre qui faisait toute sa force.

Et elle le lie avec une chaîne qu’il avait coutume de porter à la ceinture pour un pareil usage, car il ne croyait pas moins l’en lier qu’il avait jusque-là lié les autres. La dame l’avait déjà reposé à terre. S’il ne se défendit pas, je l’excuse volontiers, car il y avait trop de différence entre un vieillard débile et elle si robuste.

S’apprêtant à lui couper la tête, elle lève en toute hâte sa main victorieuse ; mais, après avoir vu son visage, elle arrête le coup, comme dédaigneuse d’une si basse vengeance. Un vénérable vieillard à la figure triste, tel lui apparaît celui qu’elle a vaincu. À son visage ridé, à son poil blanc, il paraît avoir soixante ans ou très peu moins.

« Ôte-moi la vie, jeune, homme, au nom de Dieu, — » dit le vieillard plein de colère et de dépit. Mais elle avait le cœur aussi peu disposé à lui enlever la vie, que lui était désireux de la quitter. La dame voulut savoir qui était le nécromant, et dans quel but il avait édifié ce château dans ce lieu sauvage et fait outrage à tout le monde.

« Ce ne fut point par mauvaise intention, hélas ! — dit en pleurant le vieil enchanteur, — que j’ai fait ce beau château à la cime de ce rocher ; ce n’est pas non plus par cupidité que je suis devenu ravisseur ; c’est uniquement pour arracher au danger suprême un gentil chevalier, que mon affection