Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous m’excuserez ; car si j’ai failli, c’est sous l’influence de la frénésie, vaincu d’une âpre passion. Rejetez-en la faute sur mon ennemie qui me traite d’une telle façon que je ne pourrais pas être plus mal traité. C’est elle qui me fait dire ce dont je me repens ensuite. Dieu sait que c’est à elle que le tort appartient ; quant à elle, elle sait si je l’aime !

Je ne suis pas moins hors de moi que le fut Roland, et je ne suis pas moins excusable que lui qui s’en allait errant à travers les monts et les plaines, et qui parcourut ainsi la plus grande partie du royaume de Marsile. Pendant plusieurs jours, il traîna, sans rencontrer d’obstacle, la jument toute morte qu’elle était. Mais arrivé à un endroit où un grand fleuve entrait dans la mer, force lui fut d’abandonner son cadavre.

Sachant nager comme une loutre, il entra dans le fleuve et gagna l’autre rive ; au même moment, un berger arrivait, monté sur un cheval qu’il venait abreuver dans le fleuve. Bien que Roland s’avance droit sur lui, le berger qui le voit seul et nu ne cherche pas à l’éviter : « Je voudrais, — lui dit le fou — faire un échange de ton roussin avec ma jument.

« Je te la montrerai de l’autre côté, si tu veux, car elle gît morte sur l’autre rive ; tu pourras ensuite la faire panser. Je ne lui connais pas d’autre défaut. En y ajoutant peu de chose, tu peux me donner ton roussin. Descends-en donc de toi-même, car il me plaît. » Le berger se met à