Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/226

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autres produits exotiques. En somme, les choses qui ont tant de valeur dans nos pays viennent de là ;

On dit que le soudan, roi d’Ëgypte, paye tribut au roi d’Éthiopie et s’en reconnaît vassal, de crainte qu’il ne détourne le cours du Nil, et n’affame ainsi d’un seul coup le Caire et toute la contrée. Ses sujets l’appellent Sénapes, et nous le nommons, nous, Presto ou Presteianni.

De tous les rois qui existèrent jamais en Éthiopie, il fut le plus riche et le plus puissant. Mais, malgré toute sa puissance et tous ses trésors, il avait misérablement perdu la vue. Et c’était encore là le moindre de ses tourments. Ce qui l’accablait et le faisait le plus souffrir, c’était d’être torturé par une faim perpétuelle, lui qu’on nommait le plus riche des hommes.

Lorsque le malheureux, poussé par le besoin, s’apprêtait à manger ou à boire, l’infernale troupe des Harpies vengeresses surgissait soudain. Les monstrueuses Harpies, brutales et malfaisantes, de leurs griffes et de leurs ongles crochus, renversaient les vases et saisissaient les mets ; ce que leur ventre affamé n’engloutissait pas, restait souillé et contaminé par leur attouchement.

Et cela, parce que dans sa jeunesse, enivré par les honneurs, les richesses qui le mettaient au-dessus de tous les autres mortels, fier de sa force et de son courage, il devint, comme Lucifer, orgueilleux au point de songer à faire la guerre à son Créateur. À la tête de son armée, il marcha droit au mont d’où sort le grand fleuve d’Égypte.