Page:L’Avenir, Feuilleton supplémentaire, 15 mai 1848.djvu/2

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dans Québec. Il y en a eu quand, sous le règne de la terreur et sous l'inspiration de la liberté, en présence de lord Durham, l'on y a flétri sa tyrannie exercée contre les exilés de la Bermude; flétri l'exubérance de sa déraison quand il publiait que le retour au pays d'accusés absents serait haute trahison, pour laquelle ils souffriraient la mort, sans procès; quand Le Fantasque édifiait ses lecteurs, sur les folies quotidiennes des actes de la dictature d'alors (celle du moment pourrait bien le ressusciter avec toute sa verve); quand on y a protesté et pétitionné contre l'acte d'Union; quand on s'y est organisé l'été dernier, en comité nombreux de la réforme et du progrès; quand enfin, en assemblée récente, on s'y est réuni pour l'exaltation de l'héroïsme français, l'exécration du despotisme anglais, la commisération pour les râles de l'Irlande agonisante. Oui, il y a à Québec de la vie et de l'honneur. À Montréal, c'est autre chose. Nous y avons le siège du gouvernement responsable. Nous y avons des hommes d'État, politiques profonds comme l'abîme et muets comme la tombe, qui étouffent toutes les mesures qui naissent dans Québec. Pourquoi le font-ils? Ils ne m'ont pas dit leurs secrets. Je n'ai pas assez de clairvoyance pour les deviner. Il faut donc que vous sachiez s'il leur plaît que vous ayez l'assemblée que vous projetez.

La Députation : Nous avons lieu de penser qu'il leur plaît que nous ne l'ayons pas. L'on a demandé à M. Drummond, président de notre association pour le rappel de l'acte d'Union de l'Irlande, et à M. Ryan qui en était le secrétaire, de convoquer cette assemblée, à l'instar de celle qui a eu lieu à Québec : ils s'y sont refusés. Ils ont dit que nos compatriotes québécois avaient commis une grande étourderie d'avoir eu cette assemblée, d'avoir eu cette intempestive réunion, sans avoir préalablement consulté aucun des membres du gouvernement ici; que c'était susciter de l'embarras à une autorité amie, de qui nous obtiendrions à la fin tout ce que nous voudrions si, avec assez de patience, nous savions attendre assez longtemps; que maintenant qu'ils s'étaient attachés au gouvernement ils devaient se détacher de notre association; que nous pouvons élire d'autres officiers. C'est pour cela qu'en même temps que nous souhaitons vous choisir pour président, nous voulons avoir des résolutions publiques votées pour le rappel de l'Union et pour l'exaltation de la vertu et de la bravoure françaises, qui vivifient tous les peuples et, sous peine de déchéance, convertissent tous les rois.

M. Papineau : Ah! M. Drummond et M. Ryan, hommes libres, étaient des officiers de votre société; et, serviteurs du gouvernement, ils doivent la répudier? Mais certes, il y a là-dessous quelque chose de fort grave et de très compromettant. Il faut que je connaisse bien votre but et vos règles, avant que je me hasarde à m'affilier. Auraient-ils découvert, depuis qu'ils sont commissionnés, qu'il y a quelque odeur de déloyauté dans ces déplorables règles, que je ne connais pas? Ont-ils été longtemps vos officiers? Ont-ils pris part à vos discussions?

La Députation : Oh! pour cela, oui. Ils ont parlé plus souvent, plus dru, plus gros et plus fort qu'aucun autre des membres de la société.

M. Papineau : Bon, comme cela. Vous me faîtes plaisir. Il n'y avait rien de criminel dans votre maçonnerie, quand ils parlaient; j'en conclus qu'il n'y a rien de criminel quand ils se taisent.

Ce n'est pas vous qui avez changé; ce sont eux qui sont changés, c'est-à-dire qui ne le sont pas; mais...

« Qui sont tenus de le paraître. Peuple caméléon, peuple singe du maître. »

Oh! bien moi, qui n'ai pas d'autre maître que la loi, je pourrai oser parler quand ils ne pourront pas oser le faire? Vrai. C'est réjouissant d'apprendre que l'on peut devenir l'un de vous sans pour cela être trop facilement poursuivi par le solliciteur général, qui a été l'un de vous.

La Députation : Non seulement il ne doit pas poursuivre ses frères associés, mais nous croyons bien que c'est cette qualité de président des frères associés qui l'a fait solliciteur général. Ce n'est pas à raison de la seule circonstance de son origine irlandaise que nous l'avons porté à la représentation. Ce fut encore plus à raison de ses protestations énergiques et réitérées d'amour passionné pour les libertés populaires; de haine contre une oppression séculaire, régularisée contre notre infortunée patrie, au profit de nobles et de prêtres ennemis étrangers, justement odieux, depuis les dévastations des Plantagenets, des Tudors et des Stuarts jusqu'aux proscriptions de Cromwell, jusqu'aux trahisons de Castlereagh, jusqu'aux fourberies de lord Russell : ce fut à raison de ses promesses de faire écho aux dénonciations fulminées par les Grattan et les O'Connell contre les traîtres, qui ont vendu l'Irlande au Sassenagh, que nous l'avons porté à la représentation, voie d'avancement la plus large et la plus facile de toutes, sous l'heureux système de gouvernement responsable, intègre, économique, désintéressé, grand travailleur pour de minces rémunérations, dont nous avons eu le bonheur de jouir depuis sept années.

M. Papineau : En est-il ainsi? Alors soyez sûrs que vous aurez mal compris votre président. Il ne peut pas prétendre que toute la respectabilité qu'il y ait dans votre association s'en retire dès qu'il s'est retiré. Ni lui, ni aucun membre de notre cabinet libéral ne peuvent avoir la présomption de condamner comme une étourderie une assemblée comme celle de Québec, présidée par un prêtre respectable, en rapport journalier avec ses supérieurs ecclésiastiques, Sa Grâce l'archevêque, son coadjuteur et autres de nos prêtres les plus éclairés du pays; encouragée par la présence et la participation de toute la représentation de la ville et du voisinage de Québec, dont l'un des représentants était aussi membre du cabinet. Il a été fait juge depuis, ce qui n'aurait pu être, s'il y avait eu quelque chose de déloyal dans ces procédés. S'il avait vu quelque imprudence dans aucune des résolutions débattues et votées, il n'aurait pas manqué d'y proposer quelque judicieux amendement. Je vous conseille donc de revoir votre président, de le prier de continuer à conserver cette charge, et les sentiments qui vous ont engagés à la lui déférer; de l'assurer que je ne voudrais participer à aucun mouvement qui, mal interprété, aurait l'air de ma part de vouloir lui ravir un honneur qu'il a si bien mérité. Je l'estime. Il est homme de talents distingués, de solide et de brillante éducation. Des hommes de ce calibre, je les honore, à quelque école qu'ils appartiennent; mais c'est avec prédilection que je les honore quand ils appartiennent à l'école libérale canadienne et irlandaise. Allez plusieurs ensemble le revoir. Renouvelez votre demande. Qu'il n'y ait point de surprise. Dites-lui que, s'il vous donne des raisons de vous désister qui vous paraissent bonnes, vous les donnerez au public, pour vous excuser de ne pas imiter le bel et bon exemple que nous donne Québec; que si elles paraissent mauvaises, vous ne vous désisterez point, et les publierez pour que vous et lui soyez jugés en pleine connaissance de case.

Dites-lui que, s'il veut bien présider l'assemblée que vous désirez avoir, je l'y seconderai de grand coeur. Si, à ma grande surprise, il s'y refusait, cela même ne deviendrait pas ne raison suffisante pour que vous dussiez me faire l'honneur de me choisir pour président, ni de votre association ni de votre assemblée. Croyez-en un ami sincère de la bonne cause, dans laquelle vous êtes engagés, qui a quelque expérience acquise des hommes et des affaires, de celles de votre pays en particulier.

La tyrannie a été si exorbitante contre votre déplorable patrie, aussi riante et embellie par les bienfaits de la Providence qu'elle est assombrie par les méfaits de vos gouvernants, qu'elle a développé chez la généralité d'entre vous des vertus natives, et des vices qu'a fait naître le dominateur étranger. Vous avez été dans un état de conjuration plus fréquent qu'aucun autre peuple, contre des iniquités plus atroces que n'en a souffertes aucune autre nation. De là votre amour plus enthousiaste pour le culte de la patrie; pour votre dignité chérie, Erin la belle, Erin dénudée par le spoliateur qui l'outrage. Cet amour du pays, c'est la première des vertus pour l'Anglais qui commande; c'est à ses yeux le plus détestable des sentiments que le peuple puisse nourrir dans ses colonies d'Irlande et du Canada. C'est celui qu'il y a le plus souvent et le plus impitoyablement châtié. Vous donnez avec un élan de générosité sans bornes votre confiance à quiconque est dévoué à votre cause. Vous savez que je suis un de ces hommes; vous voulez m'en témoigner votre reconnaissance d'une manière qui dépasse les bornes de la discrétion, de la fierté nationale, du sentiment d'estime que vous devez nourrir et afficher pour vous-mêmes, pour votre nationalité et pour vos nationaux. Les associations que l'on forme doivent resserrer les liens de confiance et de dépendance mutuelle entre les associés. Ne faites rien qui puisse relâcher les liens d'entière confiance entre vous tous, dans une association irlandaise, formée dans un intérêt irlandais : le rappel de votre néfaste acte d'Union.

Souvent décimés en punition de votre fort amour du pays, vous vous êtes trop souvent formés en sociétés secrètes, dans lesquelles l'or anglais, les espions anglais vous poussaient à la vengeance; et, à la veille de son explosion, vous trahissaient. Cela vous a rendus soupçonneux. C'est le vice que le dominateur étranger a fait naître dans des natures disposées par la Providence à être les plus confiantes qu'il y eût sur terre.