Page:L’Avenir, Feuilleton supplémentaire, 15 mai 1848.djvu/3

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L'Irlande a plus de chances de salut en ce moment que jamais, parce qu'elle n'a pas de société secrètes. Sa haine est aussi hautement avouée que justement formée.

Ne sentez-vous pas que plus tard l'on ira murmurer aux oreilles des uns et des autres d'entre vous : « Eh quoi, vous êtes ici vingt mille Irlandais, et vous avez jugé que pas un d'entre vous ne méritait l'honneur de vous présider; vous avez jugé que c'était un étranger que vous deviez installer au-dessus de vous tous, quand il est question non pas d'un intérêt social également stringent pour toutes nos populations mélangées, mais d'un intérêt spécialement national pour vous. » Non. Vous en devez conserver la direction et la présidence. D'autres y ont de meilleurs titres que moi.

Vous avez sur d'autres hommes plus de contrôle, un meilleur droit à exiger qu'ils répondent à votre appel, que vous n'en avez sur moi. C'est la première fois, Messieurs, que nous nous rencontrons. N'y a-t-il pas quelques autres hommes publics avec qui vous avez eu des rapports plus fréquents qu'avec moi; qui vous ont recherché quand ils ont eu besoin de vous; à qui vous avez rendu les services qu'ils sollicitaient de votre part; à qui il a été agréable de recevoir vos suffrages et qui, en retour de vos votes dans leurs élections, vous ont promis de douces paroles, de la déférence et de la civilité; qui vous ont dit que vous aviez droit à leurs conseils, à leurs énergiques encouragements, et toute occasion où vous les demanderiez; droit à leur appui cordial partout où vous en auriez besoin? Le temps et l'occasion sont venus où vous devez apprécier à leur juste valeur la sincérité et l'importance de leurs promesses. Allez vers vos représentants, allez-y avec franchise et avec les mêmes déclarations que je vous ai conseillé de porter à M. Drummond. C'est votre droit de demander, c'est leur devoir de vous donner leur appui, si les objets que vous avez en vue sont, comme il me paraît à moi qu'ils le sont, utiles et honorables à votre patrie, à la mienne, à vous et à tous ceux qui vous seconderont. S'ils vous détrompent, nous leur en aurons obligation. Habiles opérateurs, ils auront donné la lumière à des malheureux qui tâtonnaient dans d'épaisses ténèbres. Ils peuvent nous désillusionner, nous pouvons leur révéler des vérités qu'ils ignorent. Ce n'est qu'en comparant nos doctrines que nous pouvons déterminer quelle est la juste et vraie doxie, la nôtre ou la leur.

Je suis jeté dans la vie politique contre mon inclination. Après que j'eus franchement expliqué mon mécontentement et mon dédain pour l'ordre politique forcément imposé à mon pays, dans le même but hostile, par les mêmes moyens pervers qui ont enchaîné le vôtre, par une Union meurtrière et dégradante pour l'Irlande, comme la nôtre nous est hostile et plus dégradante encore pour le Bas-Canada, colonie deux fois assujettie à deux métropoles, celle de l'Angleterre qui opprime par antipathie, celle du Haut-Canada qui nous exploite par cupidité, le comté de Saint-Maurice m'a choisi pour le représenter. Que ce comté s'assemble pour délibérer sur les intérêts généraux du pays, sur ses intérêts locaux, ou sur des questions liées à la cause de la justice, exercée par des vainqueurs généreux contre des rois oppresseurs; ou à celles des droits, des libertés, du bonheur de nos co-sujets dans aucune partie de l'empire, ce comté a droit, si je garde son mandat, de commander mon assistance et ma participation à ses discussions. À Montréal, je ne suis qu'un citoyen qui ne prend part aux délibérations que timidement, quand ses représentants dédaignent de le faire. L'on y a si souvent dit à mes concitoyens, tant de vive voix que par écrit, que j'étais un homme changé, devenu un parangon de dévouement au gouvernement contre lequel j'avais lutté toute ma vie; que j'applaudissais à la détermination qu'avaient prise MM. Viger et Papineau de donner leur appui à l'administration de lord Metcalfe, puisqu'ils restaient au ministère, plus longtemps que ne le souhaitaient ceux qui brûlaient d'envie et de désir de les remplacer; que, sans l'accueil bienveillant que 7 000 de ces mêmes concitoyens m'ont fait dans leur récente assemblée, j'aurais cru me croire repoussé par la majorité d'entre eux, avec autant de sollicitude que je l'étais par leurs nouveaux directeurs. Avant mon retour et depuis mon retour, l'on a si haut proclamé à mon pays qu'il fallait bien se garder d'élire un homme dont les principes étaient aussi inconnus, flottants et versatiles que les miens, à moins qu'on ne lui fît faire sa profession de foi politique; et quand j'ai voulu la formuler, l'on a fait jouer tant d'intrigues pour m'empêcher de la publier que j'ai dû les regarder comme le soin charitable d'hommes qui me disaient :

« Ne parlez pas, vous ne seriez pas écouté. Si vous voulez parler dans notre sens, c'est votre droit. Qu'alors vos professions soient courtes comme le sont les nôtres. Ne parlez pas beaucoup, ne dites rien du mérite ou du démérite de l'Union; de la représentation proportionnée à la population; de l'extension du droit de suffrage à tous; de l'utilité que partie au moins de la représentation soit choisie parmi les électeurs résidents; que l'éligibilité ne devrait dépendre que de la confiance publique, non de la propriété bien ou mal acquise du candidat. Ne dites pas que la conviction, devant juré légal, tel qu'il n'y en a pas encore eu dans le pays, de l'emploi de moyens de corruption dans une élection, devrait disqualifier pour toujours le coupable convaincu, de ses droits d'électeur et d'éligible, et de l'aptitude à remplir aucune charge d'honneur et de profit. N'insinuez point qu'il serait désirable que l'administration fût plus travaillante et surtout moins dispendieuse, c'est contre l'intention de ceux qui nous ont donné le gouvernement responsable et contre l'intérêt de ceux qui l'exercent; ne soufflez mot de bien d'autres vétilles de cette nature, dont vous avez la manie de vous occuper »; détails fort inutiles depuis que le symbole qui est une carte de civisme, un certificat indispensable d'éligibilité a été traduit en une seule phrase suprêmement simple. La voilà à votre service : « Je crois en le ministère Baldwin-La Fontaine et je lui jure obéissance aveugle. »

Ma formule à moi, c'est de prêter appui cordial à toutes celles de ses mesures qui me paraîtront bonnes; et libre censure avec refus d'appuyer celles qui me paraîtront mauvaises. Avec les antécédents que je me suis faits et avec ceux que l'on m'a faits, je n'ai pas de forts motifs de courtiser, dans Montréal, les déloyaux inventeurs et les dupes faciles de ce grossier manège. Ceux qui débitaient et ceux qui imprimaient ces mensonges contre moi savaient qu'ils mentaient. Ils avaient leurs motifs de le faire. Qu'ils recueillent ou ne recueillent pas les honneurs et les profits que méritent la ruse et la fausseté systématisées, c'est leur affaire et leur étude; non les miennes.

Éloignés et peu nombreux comme vous l'êtes, ce ne sont pas vos efforts qui peuvent arracher des mains de vos tyrans, ni la foudre par laquelle ils dévastent et stérilisent votre patrie, ni le sceptre de plomb sous lequel ils l'écrasent. C'est moins pour elle que pour vous-mêmes; moins pour son bonheur que pour votre honneur, que vous ne devez pas lâcher pied, vous débander, dissoudre votre association au jour périlleux des plus prochains dangers ou des plus prochaines chances de salut qui ait lui sur votre pays. Par toute la chrétienté, de Rome religieuse à Paris philosophique, de la Russie autocratique aux États-Unis démocratiques, s'élève un cri universel d'amour et de pitié pour l'Irlande, enveloppée dans son linceul de peste et de famine, tissé et cousu autour d'elle par des mains aristocratiques. Montréal seul, [stupéfié] par je ne sais quels jongleurs, ne pourra pas, au milieu des sheds consacrés à la mort que l'Angleterre déverse de son Irlande européenne sur son Irlande américaine, trouver un mot de sympathie pour des douleurs et des souffrances telles que les lamentations de Jérémie seules peuvent en laisser entrevoir l'horreur! Honte aux hommes qui peuvent être assez démoralisateurs pour vouloir que Montréal soit aussi léthargique qu'ils sont apathiques!

Il n'y a que quelques semaines que vous avez été organisés, soudoyés et armés pour rencontrer, corps à corps, d'autres hommes organisés, soudoyés et armés. Ceux qui vous ont enrôlés étaient moins fautifs que ceux contre lesquels ils vous lançaient. Vous, des électeurs résidents, étiez armés pour la défense de vos droits. Des tories, allant chercher des sicaires hors des limites du comté, armaient pour l'illégale invasion de vos droits. Ils vous plaçaient dans le cas de légitime défense. Néanmoins, la balle et l'épée sont des instruments aveugles qui pouvaient aussi bien atteindre vos poitrines innocentes que les coupables poitrines de vos adversaires. Les cours de justice sont un champ clos, où la lutte s'engage au milieu d'une nuit noire comme l'Érèbe, d'un labyrinthe de détours et de stratagèmes où s'égare quelquefois le bon droit; où l'avocat adroit gagne de mauvaises causes. Vous avez affronté les dangers du champ de bataille, et les périls plus grands de l'antre de la chicane.

Vous avez donc quelque droit aux services et ceux que vous avez portés sur le pavois, de eux que vous avez faits grands, à vos périls et risques. Allez vers vos représentants. Vous avez droit de demander, à ceux qui vous cherchent avant les élections, qu'ils vous entendent après les élections; qu'ils vous guident et vous aident dans vos efforts, s'ils vous sont utiles et honorables; qu'ils vous persuadent de les discontinuer, s'ils vous prouvent qu'ils sont nuisibles à l'intérêt public, et, dès lors, peu honorables pour ceux qui les partageaient avec vous.

La Députation : Mais c'est inutile, puisque nous serons refusés. On nous repoussera grossièrement.