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POÉSIES



Il n’y a pas eu de printemps cette année, ma chère ;
Pas de chants sous les fleurs et pas de fleurs légères,
Ni d’Avril, ni de rires et ni de métamorphoses.
Nous n’avons pas tressé de guirlandes roses.

Nous étions penchés à la lueur des lampes
Encore, et sur tous nos bouquins de l’hiver
Quand nous a surpris un soleil de septembre
Rouge et peureux et comme une anémone de mer.

Tu m’as dit : « Tiens ! voici l’Automne.
Est-ce que nous avons dormi ?
S’il nous faut vivre encore parmi
Ces in-folios, ça va devenir monotone.

Peut-être déjà qu’un Printemps
A fui sans que nous l’ayons vu paraître ;
Pour que l’aurore nous parle à temps
Ouvre les rideaux des fenêtres. » —

Il pleuvait. Nous avons ranimé les lampes
Que ce soleil rouge avait fait pâlir
Et nous nous sommes replongés dans l’attente
Du clair printemps qui va venir.




Une lampe neuve remplace la vide ;
Une nuit succède à une autre nuit ;
Et l’on entend fuir dans la nuit, le bruit
Du sablier triste qui se vide.

Nous rapetassons de faux syllogismes
Et nous ergotons sur la Trinité,
Mais tout ça, ça manque un peu de lyrisme
Et nos lampes ne font pas beaucoup de clarté.

Pour quand nous avons trop mal à la tête
Au fond de la chambre basse on a mis
Parallèles deux étroites couchettes ;
Nous nous étendons puérils et soumis.

Nous récitons nos petites prières
Nous soufflons tous les flambeaux
Et se closent sur les paupières
Les nuits étroites des tombeaux.

Mais devant nos prunelles hagardes
Un grand concept s’obstine à mourir
Et nous avons peur de nous endormir
Parceque l’un sent que l’autre le regarde.