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ORPHÉE



Il évoque, en un bois thessalien, Orphée
Sous les myrtes, et le soir antique descend.
Le bois sacré s’emplit lentement de lumière,
̃Et le dieu tient la lyre entre ses doigts d’argent.

Le dieu chante, et selon le rythme tout puissant,
S’élèvent au soleil les fabuleuses pierres
Et l’on voit grandir vers l’azur incandescent
Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.

Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée !
Son œuvre se revêt d’un vespéral trophée
Et sa lyre divine enchante les porphyres,

Car le temple érigé par ce musicien
Unit la sûreté des rythmes anciens
À l’âme immense du grand hymne sur la lyre !…


PAUL VALÉRY.




LA FLÈCHE


À André Bellessort.



Livrant, muet, à l’aigle une chair immortelle
Et cessant de compter les siècles résolus,
Prométhée, au ciel bleu, de sa fière prunelle,
Jetait le fier dédain de qui n’espère plus.

Cependant que l’oiseau le frappait de son aile
Et meurtrissait le cœur en ses ongles inclus,
Hercule, auréolé d’une splendeur nouvelle,
Apparut, colossal, tendant ses poings velus.

Alors l’aigle s’enfuit avec un cri terrible.
Ne pouvant délier l’enchaîné du Destin,
Hercule prit son arc et le ciel fut sa cible.

« Ma flèche reviendra teinte du sang divin,
Dit-il à Prométhée en lui baisant la face. »
La flèche vole encor dans l’insondable espace !


EUGÈNE HOLLANDE.